Quelle politique sociale pour l’Union Européenne aujourd’hui ?

, par Charlotte Lerat

Quelle politique sociale pour l'Union Européenne aujourd'hui ?

A l’occasion de l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, les Jeunes Européens-Bordeaux et Entreprendre Ensemble ont débattu sur la question du modèle social européen en compagnie de Catherine Duboscq, secrétaire générale de l’Union régionale d’Aquitaine de la CFDT, Philippe Martin, professeur de droit social comparé à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV et Gilles Savary, ancien député européen et vice-Président du Conseil général de la Gironde. Un échange riche qui a confirmé les forces et les faiblesses de l’Europe sociale mais qui a aussi révélé l’existence d’une vision trop hexagonale, inexportable au niveau européen.

L’Europe sociale est souvent considérée comme le parent pauvre de la construction communautaire, délaissée dès les origines au profit de l’économique. Par ailleurs, cette dimension sociale est loin de faire l’objet d’un consensus au niveau européen. Si certains la voudraient plus marquée à l’instar de la France, d’autres comme le Royaume-Uni se refusent à lui octroyer plus de poids. Il suffit de penser au rejet par le Royaume-Uni en 1989 de la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ou encore aux nombreuses controverses nées autour de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour laquelle le Royaume-Uni, la Pologne et la République Tchèque ont obtenu une clause d’opt-out. La question de savoir si l’Union européenne devrait être plus sociale est pourtant essentielle en cette période de crise économique. Les récents élargissements et le rejet du Traité adoptant une Constitution pour l’Europe (TECE) par les Français en 2005 ont d’ailleurs révélé l’ampleur et la force des attentes vis-à-vis d’une Europe sociale.

Une Europe sociale aux outils limités mais aux réalisations concrètes

Si vous demandez à un citoyen européen s’il existe une politique sociale de l’Union européenne, il y a de fortes chances pour qu’il vous réponde négativement. Pourtant, cette politique existe, mais peut-être pas au sens où on l’entend communément. Aujourd’hui, le social est une compétence partagée entre l’Union européenne et les Etats, or les institutions n’ont compétence qu’en cas de défaillance des Etats membres. De plus, la politique sociale de l’UE reste fondée sur la Méthode Ouverte de Coordination (MOC). Plutôt que de mettre en place des politiques structurelles européennes, les Etats vont tenter de faire converger leurs différentes politiques nationales. Or, en période de difficultés économiques ou de tensions sociales, cette régulation molle n’est pas très efficace comme le montre l’échec de la Stratégie de Lisbonne. Néanmoins, l’Europe a développé tout un arsenal législatif sur le terrain du droit social et engendré quelques grandes avancées, notamment dans le champ des relations de travail. Parmi les réalisations communautaires, on peut citer la directive temps de travail, les directives relatives aux restructurations d’entreprises, aux licenciements collectifs, aux contrats spéciaux, aux travailleurs à temps partiel. A noter également, les principes généraux de prévention des risques au travail, la reconnaissance mutuelle des régimes de pensions, la promotion de l’égalité des genres et la non-discrimination en raison d’un handicap, de l’âge, du sexe, de l’origine, de l’orientation sexuelle ou des convictions religieuses. Il n’est d’ailleurs peut-être pas inutile de rappeler que, dans le domaine social, une norme européenne ne s’applique que si elle constitue un progrès par rapport au droit des Etats-membres. Plusieurs secteurs de la politique sociale relèvent cependant encore de la compétence exclusive des Etats, comme la protection sociale, les salaires, le droit de grève et les conflits collectifs. A cet égard, le Traité de Lisbonne n’élargit guère le champ de compétences de l’UE. Là où l’Union exerce une forte influence, c’est dans le domaine des droits fondamentaux. Doucement se forme une culture sociale et syndicale européenne. D’ailleurs, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) a aussi contribué aux avancées de l’Europe sociale en préconisant, à travers le Conseil économique et social, un certain nombre de normes, notamment en matière d’égalité hommes-femmes.

Une vision franco-centrée de l’Europe sociale ne pourra pas s’imposer à l’échelle européenne

On ne peut pas comparer la politique sociale de l’Union aux politiques nationales construites dans le cadre d’un Etat Providence. La situation nationale ne sera probablement pas transposée au niveau communautaire car l’Union est plus proche de la régulation que de la redistribution. Le pacte social devrait donc continuer de relever du droit national pendant un certain temps.

Par ailleurs, la question du renforcement de l’Europe sociale est en réalité un sujet très français, le débat étant très peu partagé par nos partenaires européens. En outre, les Français souhaiteraient que le droit social européen prenne la forme du droit social français. Si notre modèle est admiré pour le confort qu’il offre, il est aussi très craint par certains Etats membres qui le trouvent coûteux et dualiste. Il faut aussi comprendre que le modèle social de chaque Etat correspond à une culture et une histoire qui lui sont propres, et se détacher de ces racines sera difficile. Il suffit de penser au vif débat relatif à l’instauration d’un salaire minimum européen. En Allemagne par exemple, le salaire minimum est négocié chaque année dans chaque secteur, et il semble donc impensable à notre voisin rhénan de fixer ce salaire à l’échelle européenne. De même, les écarts actuels de niveau de rémunération entre les Etats membres indiquent clairement qu’un consensus ne sera pas trouvé à court terme. En attendant, il convient de renforcer la convergence économique, ce qui permettra à terme d’aboutir à une convergence sociale. Pour cela, il sera nécessaire de faire entrer un maximum de pays dans la zone euro.

Le devenir de la dimension sociale de l’Union européenne est donc entre les mains des hommes politiques des Etats membres. A l’heure actuelle, l’impulsion ne peut être que de nature politique. Toutefois, l’Europe sociale n’est pas une coquille vide, des réalisations concrètes ont vu le jour et simplifient le quotidien de nos concitoyens qui résident dans un autre Etat membre. L’année européenne sera peut être l’élan nécessaire qui permettra un bond en avant de l’Europe sociale.

Illustration : Conférence « Quelle politique sociale pour l’Union européenne aujourd’hui ? », de gauche à droite : Philippe Martin, Catherine Dubosq, Gilles Savary, Solène Meissonnier et Alexandre Lyneel.

Source : Kevin Perrottet

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Vos commentaires
  • Le 2 avril 2010 à 07:07, par Martina Latina En réponse à : L’Europe sociale et diplomatique exige une Europe politique.

    Merci pour les deux articles publiés hier et aujourd’hui, donc en pleine période pascale, par le TAURILLON : sur le thème de l’Europe sociale et sur la Terre (trois fois) sainte - pour tenter de regrouper dans une désignation cette entité morcelée qui forme un noyau d’histoire en devenir.

    Les deux articles prouvent en tout cas la nécessité d’une harmonisation politique de l’Union Européenne, aussi exigeante qu’urgente : le nom même de l’EUROPE devrait la soutenir et la favoriser, puisqu’il fait appel à la VASTE-VUE ouverte précisément par une jeune fille sémite au « couchant » de l’obscurantisme,

    donc à l’aurore de la civilisation « occidentale » que caractérise une évolution navigatrice et scriptrice - inscrite dans un TAURILLON ravisseur autant que vecteur et dans cet épisode fondateur toujours porteur. Oui, pour donner figure, forme et chair démocratiques à cette dynamique, pour étendre énergiquement la sphère de la justice et de la paix, les élus et les électeurs européens ont bien « du pain sur la planche » !

  • Le 2 avril 2010 à 11:51, par Benoît Pélerin En réponse à : Quelle politique sociale pour l’Union Européenne aujourd’hui ?

    Merci pour cet article intéressant !

    À noter par ailleurs que l’UE a une action sociale, même indirecte, par l’intermédiaire du FSE (Fonds Social Européen) dont l’une des missions est d’aider les chômeurs à retrouver et se maintenir dans l’emplois. Pour cela il participe au financement de projets comme l’école de la seconde chance (proposée par Edith Cresson et adopté par la commission européenne en 1995) ou encore, pour la France par exemple, des programmes d’aide à la création d’entreprise pour les chômeurs en partenariat avec les chambres de commerce et d’industrie locales.

    Sur la question sociale les différences nationales sont en effet très grandes, notamment en ce qui concerne la définition du rôle de l’État et le degré de responsabilité individuelle attendu par la société qui varieront énormément entre la Suède, le Royaume-Uni et l’Italie par exemple.

    Enfin sur la question du salaire minimum, on pourrait imaginer une indexation sur le salaire moyen du pays pour tenir compte des différences nationales si tant est que tous les 27 acceptent l’idée d’un salaire minimum.

    Sur les missions du FSE : http://www.fse.gouv.fr/qu-est-ce-que-le-fse/le-fse-en-quelques-mots/presentation-generale-du-fse-en/article/presentation-generale-du-fse-en

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