La famille d’Altiero Spinelli, ses plus proches collaborateurs et collègues, les acteurs, le réalisateur et le directeur de la télévision italienne RAI y étaient tous présents. Le film était très émouvant et le jeu des acteurs, très réussi. J’espère qu’il sera un jour diffusé en dehors de l’Italie.
Cela fait 28 ans qu’Altiero Spinelli nous a quittés. À l’époque, j’avais rédigé un hommage en sa mémoire, car j’avais eu l’honneur de travailler avec lui de 1982 à 1986. Je souhaite que cet article permette à la jeune génération du Parlement de comprendre l’importance de l’homme qui a donné son nom au bâtiment dans lequel nous travaillons.
Altiero Spinelli était de ceux qui mettent leurs idées en pratique. Homme aux multiples facettes, il était audacieux tout en étant persuasif, prêt à faire des compromis mais pas à sacrifier ses principes, capable de lire des ouvrages de référence dans huit langues et d’en citer des extraits mais jamais verbeux pour autant, particulièrement conscient des limites de la classe politique tout en restant un démocrate passionné. Peu d’hommes politiques inspirent le respect sur un tel pan de l’échiquier politique et dans tant de pays. Beaucoup de jeunes ont assisté à ses funérailles, ce qui montre que ce respect transcendait également les générations.
Altiero Spinelli n’aura pas eu l’occasion de voir l’Union européenne, pour laquelle il a tant travaillé. L’Union européenne a vu le jour en grande partie grâce à lui. Il a participé à presque tous les événements majeurs qui ont jalonné la construction européenne depuis la Seconde Guerre mondiale.
Sa conviction de construire une Europe unie est née pendant la longue période qu’il a passée dans les prisons de Mussolini. En 1941, alors que l’issue de la Seconde Guerre mondiale était encore incertaine, il participe à la rédaction du Manifeste de Ventotene, déclarant que la première tâche que les forces progressistes dans leur ensemble devraient accomplir après le renversement du régime fasciste était d’établir une forme contraignante de coopération entre les États d’Europe. L’alternative — un retour à des nations totalement souveraines et leurs alliances éphémères — aboutirait sans aucun doute à une autre guerre. Fortement influencé par les analyses des fédéralistes britanniques d’avant-guerre, Altiero Spinelli consacrera le restant de son existence à promouvoir le fédéralisme européen. Il conserva son indépendance par rapport aux partis politiques (après s’être écarté du Parti communiste dans les années 1930, du fait des purges staliniennes). Homme de gauche, il était néanmoins capable de jeter des ponts entre les hommes politiques de tout parti.
Le Manifeste de Ventotene fut largement diffusé parmi les mouvements de résistance en Europe. Lors d’une rencontre à Genève vers la fin de la guerre, les chefs de la résistance marquèrent leur soutien envers une fédération européenne. Altiero Spinelli créa le Movimento Federalista Europea, qui devint la section italienne de l’Union des fédéralistes européens, et resta à sa tête durant près de deux décennies. Ces organisations répandirent l’idée européenne bien avant que les gouvernements nationaux n’y montrent un quelconque intérêt. Ce n’est d’ailleurs que vers la fin des années 1940 qu’ils commencèrent à avancer des propositions, encore modestes. Naturellement, Altiero Spinelli fut déçu par les balbutiements initiaux des gouvernements lorsqu’il s’agissait de la construction européenne. Contrairement aux prévisions de Jean Monnet, il resta convaincu que les États-nations n’allaient pas s’éroder progressivement à mesure qu’ils devenaient plus étroitement interdépendants au sein de l’Union. Il n’adhérait pas non plus à l’idée selon laquelle l’intégration économique se transformerait automatiquement en intégration politique. Il demandait constamment d’autres initiatives, mais pas de celles fondées sur le travail de bureaucrates, de technocrates et de diplomates : il voulait une Europe des citoyens, établie selon une méthode démocratique impliquant un Parlement européen élu.
Altiero Spinelli fit son retour sur le devant de la scène européenne lorsqu’il devint commissaire (1970-1976), acceptant la nécessité d’une « longue marche à travers les institutions ». En tant que commissaire, il fut l’instigateur du rapport Vedel sur les pouvoirs du Parlement européen et, plus tard, du célèbre rapport de la Commission sur l’Union européenne (1975) qui allait en fin de compte permettre d’exercer suffisamment de pression pour instaurer des élections directes au Parlement européen. Altiero Spinelli fut élu député européen et siégea au Parlement comme indépendant (et rapporteur du projet de traité sur le remplacement de la Communauté européenne par l’Union européenne. C’est sa proposition qui a amorcé les révisions des traités qui ont donné lieu à l’Acte unique européen en 1986 et au Traité de Maastricht sur l’Union européenne).
Les accomplissements d’Altiero Spinelli ont permis à la classe politique de prendre du recul par rapport aux menus détails quotidiens et de se concentrer sur les objectifs fondamentaux et à long terme de l’Union européenne. Chaque fois, le résultat dépassait ce qui aurait été réalisé autrement. Chaque fois, le résultat n’atteignait pas ce qu’Altiero Spinelli aurait souhaité et ce qui était nécessaire. Il appartient à présent à d’autres d’achever le travail entrepris par Altiero Spinelli.
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