Pourquoi un tel rapport ?
Comme l’a rappelé, à juste titre, Mary Honeyball lors des débats à propos du rapport le 8 mars, « on quitte son foyer par contrainte ». C’est bien un aspect trop souvent laissé de côté dans le débat sur la crise migratoire : c’est la guerre, les conflits, les violences et la volonté de protéger sa famille qui poussent les milliers d’hommes et de femmes à fuir vers l’Europe.
C’est un fait, le périple vers l’Europe est une lutte de tous les instants. Lutter pour rassembler l’argent pour les passeurs, lutter pour survivre à la traversée de la Méditerranée, lutter pour arriver à bon port dans un endroit décent et où les droits fondamentaux sont garantis. Or ces derniers sont allègrement bafoués par la plupart des Etats membres de l’Union, dans un mépris quasi général pour le sort des migrants, parqués dans des centres de rétention surpeuplés, -quand ils ont la chance de dormir sous un toit et pas bloqués à la frontière gréco-macédonienne.
Un drame humanitaire donc, mais qui en cache un autre plus profond encore -celui de la situation des femmes et des filles réfugiées et demandeuses d’asile dans l’Union européenne. C’est peu dire que la question du genre a été fondamentalement occultée du débat depuis le début de la crise migratoire, et le rapport de Mary Honeyball sonne le glas de l’indifférence des dirigeants européens sur le sort particulier des migrantes.
Dans ce rapport sans concession, place avant toute chose à la dénonciation des nombreux abus subis par les femmes tout au long de leur périple.
Le texte rappelle d’abord qu’aujourd’hui les femmes représentent un tiers des demandeurs d’asile et qu’en janvier 2016, elles constituaient 55% des personnes arrivant en Grèce pour demander l’asile, selon les chiffres du Haut - Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (HCR). A comparer avec d’autres chiffres révélateurs : rien qu’en Allemagne, pays qui a accueilli le plus de migrants en Europe, les femmes représentent 31% des demandes d’asile, et parmi elles deux sur cinq ont moins de 18 ans.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à tenter le voyage pour l’Europe, mais elles restent en sous nombre par rapport aux hommes, sont jeunes, et comme s’en est ému Filippo Grandi devant le Parlement européen le 8 mars, 20% conduisent seules leur famille depuis la Syrie, c’est à dire sans protection.
Sans protection oui, car faire ce voyage en étant une femme seule, c’est être exposée à des violences sexistes multiples à chaque instant. Le rapport se fait fort d’énumérer les obstacles qui attendent les femmes sur la route de la survie, et on ne peut qu’avoir froid dans le dos.
On parle ici de femmes qui, « dans leur pays d’origine, de transit et de destination », subissent des violences sexistes allant du harcèlement au viol, tout en devant très souvent veiller en même temps à la sécurité de leurs enfants. On parle de femmes devant se livrer au « sexe de survie » (qui devrait être requalifié de « viol de survie ») afin de payer les passeurs pour effectuer la traversée vers l’Europe avec leur famille. On parle de femmes isolées qui, pour faire cesser le harcèlement de leurs compagnons de voyage, doivent se marier avec un homme pour obtenir un semblant de répit ; qui, à cause de l’isolement et de l’inexistence de voies sûres vers l’Europe, se retrouvent sous la coupe de réseaux criminels qui profitent de leur vulnérabilité pour les exploiter à des fins sexuelles dans le juteux commerce de la traite des êtres humains.
Mais également de femmes qui, bien qu’arrivées en Europe, subissent des violences sexistes de la part des autorités locales : est-il besoin de rappeler le rapport d’Human Rights Watch du 21 septembre 2015 qui dénonçait les abus perpétrés par les gardiens envers les migrantes dans le camp de Gazi Baba en Macédoine ? Des abus également perpétrés dans les camps par d’autres migrants, comme s’en émouvaient les associations dans une tribune du 7 octobre 2015 publiée dans le Monde à propos de la « jungle » de Calais où les femmes devaient se cacher pour ne pas à avoir à subir le harcèlement des hommes, dix fois plus nombreux ?
Le rapport dénonce de plus les conditions de vie déplorables des femmes dans les centres d’accueil, dans lesquels les dortoirs, sanitaires et douches sont mixtes, et qui offrent donc un « cadre idéal » à la perpétuation de la violence sexiste. La procédure d’asile elle-même est inappropriée : trop souvent le statut des femmes et filles est fonction de celui de leur conjoint, les mettant dans une situation de dépendance critique. De plus, la procédure ne prend pas en compte les violences spécifiques subies par les femmes et ne les protège pas efficacement, l’exemple cité par le rapport est celui des mutilations génitales féminines qui est une des raisons principales invoquées par les femmes pour demander l’asile en Europe - 20 000 femmes et filles victimes de mutilations génitales féminines ont ainsi demandé l’asile chaque année.
Beaucoup d’arguments effrayant qui justifient des mesures spécifiques pour protéger les migrantes autant que faire se peut.
Que préconise le rapport ?
Le rapport entend énoncer toute une série de mesures ayant vocation à s’appliquer à tout moment du voyage des réfugiées : à leur arrivée sur le territoire, lors de leur transit dans les centres d’accueil ou de rétention, lors des procédures d’asile et enfin lors de leur intégration finale dans la société civile. Ce qui ressort particulièrement des 66 propositions Honeyball, c’est la volonté de garantir l’indépendance des femmes lors du processus, leur bien-être et leur sécurité effective.
En effet, le rapport préconise aux Etats membres de permettre une information complète aux femmes sur leurs droits et la possibilité pour elles d’obtenir un statut indépendant de celui de leur conjoint, car trop souvent, elles sont enregistrées dans les demandes d’asile au nom de leur conjoint, les rendant dépendantes et potentiellement en danger en cas de violences conjugales ou de séparation. A ces fins, il s’agit de les informer, mais aussi de leur garantir un total accès aux services de justice, en créant des systèmes de garde d’enfants pour leur permettre de s’y rendre, en employant des traducteurs et conseillers de sexe féminin pour les mettre plus à l’aise, formés aux difficultés spécifiques aux femmes - à savoir, mais pas seulement, aux violences sexuelles et sexistes.
Le volet sécurité quant à lui est encore plus complet : il faut former les personnels aux violences faites aux femmes dans les centres de rétention et d’accueil afin d’éviter les abus mais également les risques de mariage forcé et de prostitution, séparer les dortoirs, sanitaires et douches entre les femmes et les hommes pour minimiser le risque de violence, créer des installations appropriées pour les mères arrivées avec leurs enfants, garantir une protection effective dès lors qu’une victime signale un abus.
Entre les Etats membres une plus grande coopération des services de sécurité et de justice est invoquée afin de lutter contre les passeurs et les trafics s’exerçant contre les migrants. À ces fins, la création de voies légales d’entrée sur le territoire de l’Union européenne est vivement recommandée. Le rapport estime enfin que toute demande d’asile fondée sur des violences sexuelles ou des discriminations sexuelles dans le pays d’origine, allant du mariage forcé au crime d’honneur en passant par les mutilations sexuelles et les discriminations contre les femmes LGBTI, devrait être jugée recevable.
Concernant enfin le bien-être, il s’axe sur la facilitation d’accès aux soins médicaux spécifiques aux femmes : garantir l’accès aux droits sexuels et reproductifs, à l’avortement, à un suivi de grossesse adéquat, former les personnels de santé aux victimes de violences sexuelles et de mutilations sexuelles, et garantir l’accès aux victimes de telles violences à une aide psychologique appropriée.
On le voit, le rapport est plus que complet. Appliqué correctement mais les Etats membres, il garantirait enfin une sécurité à des migrantes déjà traumatisées par la guerre et les abus en tout genre en arrivant sur le sol européen.
Sera-t-il suivi d’effets ?
Aux vues de la crise actuelle et l’immobilisme politique qui semble s’emparer de tous les dirigeants européens, on peut craindre que les propositions du rapport Honeyball restent lettre morte, malgré son adoption par le Parlement européen, et ce contre une résolution du PPE qui limitait les dispositions du rapport initial. S’il est facile de voter un texte symbolique lors d’une date symbolique, ça l’est moins lorsqu’il s’agit de débloquer les fonds pour en appliquer les dispositions, surtout au moment où les Etats membres de l’Union se regardent en chien de faïence sur la question des droits des réfugiés. Peu enclins à ouvrir ne serait-ce que leurs frontières afin de les laisser passer, les obligeant ainsi à rester parqués dans des sortes de prisons à ciel ouverts par milliers, il est peu probable que les Etats, notamment à l’Est, mettent tous les moyens en oeuvre pour venir en aide spécifiquement aux femmes et filles, eux qui se battent pour les « renvoyer chez eux ».
Les associations d’aide aux réfugiés elles-mêmes appellent depuis des mois à un plus grand soutien financier des Etats, sans véritable réponse. Dépassées, opérant souvent avec les moyens du bord, dans des locaux surpeuplés, il leur sera difficile sans aide effective de l’Union européenne d’améliorer la situation des femmes et des filles de manière stable et durable.
Mais les véritables craintes doivent se focaliser sur la volonté des dirigeants européens d’échapper à leurs responsabilités en multipliant les accords avec la Turquie.
La récente débâcle, à la suite du sommet européen du 7 mars, à propos du partenariat avec Ankara dans la gestion de la crise migratoire, ne laisse entrevoir aucune évolution heureuse de la situation des migrantes en Europe. On ne peut pas dire que la Turquie soit la digne représentante de l’égalité des sexes dans le monde -osera-t-on parler des délicates déclaration d’Erdogan à propos des femmes, dont la maternité doit être selon lui l’unique préoccupation, ou ses prises de position véhémentes contre le droit à l’avortement ? Il ne fait peu de doute que la protection des droits des femmes ne semble pas être une priorité à l’heure où l’Union envisage de déléguer ses responsabilités à un pays de plus en plus autoritaire, la lourde tâche de gérer des millions de réfugiés. L’ouverture de voies légales d’immigration pour garantir la sécurité des migrants, invoquée dans le rapport Honeyball, à peine votée, semble déjà enterrée.
Les femmes sont-elles donc condamnées à être les éternelles victimes oubliées des conflits ? On peut légitimement penser que les choses vont évoluer.
Une adhésion à la convention d’Istanbul ?
La Commission européenne a en effet annoncé le 8 mars avoir adopté une proposition tendant à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, à ce jour la convention la plus poussée dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Ce texte comprend un volet destiné à la protection spécifique des femmes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées, en leur accordant des droits spécifiques, comme l’obtention d’un titre de séjour lorsqu’elles sont victimes de violences conjugales et que leur statut dépend de celui de leur mari. En adhérant à cette convention, qui aurait une force juridique plus contraignante qu’un rapport voté au Parlement européen même si on peut le regretter, l’Union offrirait une garantie non négligeable aux femmes arrivant sur son sol et inciterait ainsi les Etats membres à prendre les mesures qui s’imposent.
Le prochain sommet avec la Turquie des 17 et 18 mars et l’adhésion prévue à la Convention d’Istanbul seront donc des moments fondamentaux non seulement pour l’Union européenne, mais également pour les droits de ces milliers de réfugiés et réfugiées que nous avons la responsabilité de protéger et d’accueillir.
1. Le 16 mars 2016 à 15:55, par Lame En réponse à : Rapport Honeyball : Le Parlement européen s’inquiète du traitement des femmes migrantes
Il est certain que la situation des femmes en Europe n’est pas aussi grave qu’en Inde, en Afrique du Sud ou dans les réserves indiennes des USA.
Néanmoins, c’est la situation des femmes en général qui est préoccupante et pas spécialement celles des migrantes : souvenons-nous de Cologne et des recommandations indignes adressées aux femmes allemandes.
Pour ce qui est des conditions d’hébergement des migrants, je me soucie plus, pour ma part, du sort des sans-abris européens.Eux aussi sont des humains. Eux sont nos concitoyens et nous sommes liés à eux par un devoir de solidarité.
Nos SDF ne sont pas forcément responsables de leur sort alors que les migrants seraient forcément victimes des circonstances.
2. Le 17 mars 2016 à 18:27, par Hervé Moritz En réponse à : Rapport Honeyball : Le Parlement européen s’inquiète du traitement des femmes migrantes
Il n’y a pas de concurrence dans la misère.
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