Les compteurs remis à zéro. Associé par de nombreuses personnes à une sorte de « putsch russe », l’amendement controversé mis en place par Vladimir Poutine lui permet en effet de rester au pouvoir jusqu’en 2036, soit de se représenter en 2024 pendant deux mandats supplémentaires de six ans. Le président russe a en effet modifié l’article de la Constitution russe interdisant d’effectuer plus de deux mandats présidentiels consécutifs en remettant à zéro le compteur du nombre de ses mandats présidentiels. Cette nouvelle loi s’applique exclusivement pour lui et non pas pour ses futurs successeurs, lui permettant ainsi d’être éligible pour deux mandats supplémentaires. Ceci apparaît pour beaucoup comme un moyen de maintenir son poste de dirigeant de la Russie et d’éviter l’éventuelle élection d’une opposition.
De plus, le président russe a introduit dans cette Constitution des principes conservateurs qui lui sont chers tels que le respect du patrimoine du pays et de l’église orthodoxe, le renforcement du pouvoir du Kremlin, affaiblissant ainsi les autorités locales et municipales. On peut également trouver un autre amendement qui interdit formellement le mariage homosexuel, par opposition au mariage hétérosexuel défini comme l’union propre d’un homme et d’une femme ; ou encore la volonté de Vladimir Poutine d’indexer les retraites sur l’inflation et de mettre en place un salaire minimum.
Un référendum repoussé mais largement gagné par Poutine
La réforme inaugurée par Vladimir Poutine a été approuvée par le Parlement russe en mars 2020. Celle-ci devait avoir lieu initialement en avril 2020, mais en raison de la pandémie de la Covid-19 et d’une peur de concentration excessive des électeurs dans les bureaux de votes, sa date a été repoussée. Le scrutin s’est donc déroulé sur une semaine avec un taux de participation de 65%.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, suite à l’approbation de la population russe lors de ce référendum, s’est félicité de ce taux de participation et de la nouvelle confiance accordée par la majorité de la population russe au président Vladimir Poutine, qui a basé sa campagne sur la notion de « stabilité, sécurité et prospérité ».
Il faut aussi savoir que la cote de popularité de Vladimir Poutine entre 2018 et 2020 a baissé de 79% à 60%, selon certains instituts de sondage, notamment à cause de sa réforme des retraites fortement remise en cause ainsi que de la gestion de la crise de la Covid-19. S’apercevant à travers ces chiffres d’une nette baisse de confiance de la part de la population russe, Vladimir Poutine a ainsi décidé d’organiser ce scrutin avant les élections législatives d’automne 2021, de sorte que le peuple puisse lui confirmer son soutien. La popularité du président russe lors de ce référendum constitue donc un élément fondamental, notamment avant les conséquences économiques qui risquent de suivre la crise de la Covid-19.
Une opposition bien réelle
Même si ce référendum a pu se révéler comme un « succès » pour Vladimir Poutine au vu des résultats affichés, de nombreuses personnes ou même ONG restent sceptiques à l’idée que ce référendum puisse s’être vraiment déroulé selon des critères réellement démocratiques. Certains ont en effet mis en avant l’idée de « manipulation » et d’irrégularités au moment des votes, garantissant une victoire assurée au dirigeant russe. On peut citer par exemple la mise en place de loteries avec des cadeaux, ou encore des bons d’achats réservés à ceux qui votaient en ligne en faveur du gouvernement de Vladimir Poutine. L’organisation de ce scrutin a en somme été très souple : les Russes pouvaient voter dans des bureaux de vote, sur Internet, dans la rue, dans les cours, sur des terrains de jeux ou autres lieux a priori inadaptés sans très grand respect du secret du vote et de surveillance des urnes. Il a également été évoqué la mise en place de pressions hiérarchiques sur les fonctionnaires et les salariés afin que ceux-ci aillent voter, selon l’ONG Golos, qui affirme avoir relevé plus de 2000 violations des règles électorales. L’opposant politique Nikolay Rybakov, dirigeant du parti Yabloko, a d’ailleurs protesté contre cette « falsification des votes », trahissant selon lui la population russe et ne laissant aucunement place à un choix démocratique. Le porte-parole du chef de la diplomatie de l’Union européenne a dans ce contexte demandé à Moscou d’étudier cette question de « manipulation » de plus près. Pour les opposants politiques ou même certains occidentaux, il serait ainsi dans l’optique de Vladimir Poutine de s’approprier la loi fondamentale russe en l’appliquant à ses propres principes politiques.
Des difficultés sont également apparues pour beaucoup de gens qui souhaitaient cocher la case « non ». Même si ce choix au moment du vote aurait potentiellement permis un changement de dirigeant et le début d’une nouvelle ère en Russie, cela impliquait également le refus de l’indexation des retraites sur l’inflation, laissant de nombreux individus réticents et désemparés face à une telle décision. Néanmoins, Vladimir Poutine ne parvient pas à gagner l’opinion publique partout sur son immense territoire. Il existe en effet une région en Russie dans laquelle le « non » l’a emporté à 55,25% : il s’agit de la Nénétsie, un district autonome en Arctique, qui nous prouve que la victoire du président russe n’est pas « absolue ».
Des conséquences importantes pour Vladimir Poutine
Il faut savoir que la Russie n’est pas un pays comme les autres : il s’agit ici du plus grand pays du monde. Depuis l’avènement de la dynastie des Romanov en 1613, il a toujours fallu au dirigeant de cet immense pays une poigne de fer pour diriger cet empire à la fois multinational et multiethnique. Au XXe siècle, l’Histoire de la Russie devenue URSS s’est révélée tragique : la révolution bolchévique, la Seconde Guerre mondiale et ses 27 millions de morts soviétiques, le totalitarisme soviétique ainsi que le Goulag, ont été suivis par l’effondrement final de l’URSS en 1991. Un tiers de son ancien territoire soviétique a en effet été perdu au profit de la naissance de près d’une quinzaine d’Etats nouvellement indépendants, tels que l’Ukraine, la Biélorussie, les Etats Baltes...
Ensuite, la présidence de Boris Eltsine dans les années 1990 a de nouveau été ressentie par la population russe comme une sorte de déclin accéléré : on a ainsi pu voir le passage brutal d’une économie socialiste à une économie capitaliste qui s’est faite dans la douleur. Le chômage, la paupérisation, la corruption ainsi que les inégalités sociales présentes dans le pays n’ont fait que l’affaiblir toujours plus. D’autant plus que les Etats-Unis, après avoir remporté la Guerre froide, ont continué d’avancer leurs pions d’un point de vue géopolitique en incorporant dans l’OTAN d’anciens pays d’Europe de l’Est ou en envisageant d’intégrer d’ex-Républiques soviétiques telles que l’Ukraine ou la Géorgie.
Vladimir Poutine, qui succède à Boris Eltsine après la démission de ce dernier en 1999 et qui est élu pour la première fois en 2000, est un ancien officier du KGB (services secrets soviétiques) pour qui la chute de l’Union soviétique s’est révélée être un traumatisme. Patriote intransigeant et homme dur, Vladimir Poutine semble avoir obtenu le soutien de la majorité de son peuple, puisque celui-ci a été réélu à de nombreuses reprises (même si les organisations de défense des droits de l’homme ont pointé plusieurs fois des irrégularités lors des élections). Cet homme à poigne n’a jamais hésité à mener des politiques brutales comme lors des guerres en Tchétchénie ou lors de l’annexion de la Crimée en 2014 au détriment de l’Ukraine. Vladimir Poutine a en premier lieu suivi deux mandats présidentiels consécutifs jusqu’en 2008, l’année durant laquelle il est devenu Premier ministre jusqu’en 2012 sous la présidence de Dmitri Medvedev (car la Constitution russe lui interdisait alors de poursuivre un troisième mandat). Puis, la durée du mandat présidentiel est passée à six ans au lieu de quatre, ce qui lui a permis de reprendre le pouvoir pour un 3e mandat de 2012 à 2018, avant de se faire réélire durant l’année 2018.
Poutine a choisi de faire modifier la Constitution russe, de sorte que le dirigeant de la Russie puisse rester beaucoup plus longtemps au pouvoir. Il est persuadé que cette réforme lui permettra d’ancrer son pouvoir dans la durée afin de parachever ce qu’il considère comme son œuvre politique : c’est-à-dire rétablir la puissance de la Russie sur la scène internationale. Il faut reconnaître que la Russie joue un rôle politique international important, notamment au Proche-Orient depuis le désengagement relatif des Américains après l’élection de Donald Trump en 2016. La Russie est notamment intervenue militairement en Syrie en tenant à bout de bras le régime syrien de Bachar el-Assad.
Vladimir Poutine défend donc un Etat russe puissant, très conservateur dans le domaine des questions de société et réaffirme son étroite alliance avec la religion chrétienne orthodoxe, afin de maintenir son large territoire uni et stable. Cependant, la Russie ne constitue pas un Etat démocratique selon les standards des Etats occidentaux : les atteintes aux droits de l’Homme sont en effet nombreuses. Suite à cela, on peut dire que la société russe a évolué depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, mais les jeunes générations n’ont connu que lui à la tête de l’Etat ou presque. Sa détermination à se maintenir au poste de dirigeant en Russie risque de rencontrer d’autres obstacles encore dans l’avenir. C’est pourquoi nous pouvons nous demander si la population russe acceptera ou pas, dans la durée, que le même homme puisse la diriger pendant peut-être près de quatre décennies. Beaucoup évoquent en effet l’hypothèse selon laquelle Vladimir Poutine sera réélu jusqu’en 2036. Pourtant, la Russie poursuit depuis plusieurs siècles sa marche vers l’Occident et n’a pas encore pu connaître et ancrer durablement un processus de réelle démocratisation, ce qui sera sans doute l’aspiration croissante de la population russe à l’avenir.
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