Les conditions d’un maintien qui ne sont plus réunies
Plusieurs raisons ont mené le chef d’État français vers un désengagement militaire, par extension européen, dans le pays. Premièrement, la junte militaire, qui semble s’accrocher à la tête du Mali après le dernier coup d’État de 2021, s’est prononcé sur la prolongation de la période de transition. Avec des élections qui ne se tiendraient pas avant cinq ans, ce maintien au pouvoir de la junte, et son influence probable sur l’assemblée tenant lieu d’organe législatif depuis son accession à la tête du pays, présage « un rétrécissement de l’espace civique et du débat démocratique » pour son avenir.
Deuxièmement, l’arrivée inévitable des forces mercenaires russes sur le territoire malien, à l’invitation de son gouvernement militaire, avait été présentée par la France comme une ligne rouge, et considérée comme telle par nombre d’États participants. L’assemblage de difficultés aussi bien sur le plan politique qu’opérationnel, sur fond de remise en cause de la présence française mais aussi européenne par une partie des Maliens, a créé une situation complexe à tenir. Les conditions ne permettent plus sa mission première, la formation, l’accompagnement et le soutien des forces armées maliennes (FAMa) en échec.
C’est donc ces « multiples obstructions » qui poussent les partenaires européens à se retirer du Mali. C’est aussi le risque d’obstruction des mercenaires du groupe russe Wagner dans la logistique de retrait qui préoccupe la France. « Nous suivons activement le déploiement de Wagner sur le terrain et nous tenons prêts à réagir avec la plus grande fermeté à toute menace sur la force Barkhane [incluant la force Takuba, ndlr]. Nous ne tolérerons aucune provocation ni entrave durant notre redéploiement », déclarait Florence Parly, ministre française des armées, devant le Sénat le 23 février. Complétée par le chef d’État-major des Armées, le général Burkhard, sur France24/RFI, le 25 février, à propos de la logistique du désengagement : « les groupes armés terroristes sont encore présents. Il y a également des manœuvres de déstabilisation qui peuvent être conduites. On a actuellement le groupe de mercenaires Wagner (...) qui évidemment cherche, ou va chercher, à nous compliquer la tâche. C’est ça que l’on va devoir prendre en compte ».
La réimplantation sur le territoire voisin
Le Niger représente à plus d’un titre un territoire idéal pour le cœur de mission des forces européennes Takuba et pour son appréciation politique aux yeux des Européens. En proie aux mêmes activités terroristes et aux violences et actes hostiles commis dans tout le Sahel, le Niger peut à la fois être vu comme le dernier bastion démocratique dans la région, lorsqu’on le compare à l’instabilité politique des États malien et burkinabé voisins. D’autant plus que la situation géographique de la zone des trois frontières (frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso) est le territoire d’implantation des bastions terroristes, donc la zone à cibler pour ce type d’opérations militaires.
De « nouvelles implantations » européennes ont d’ailleurs été annoncées par le président nigérien, Mohamed Bazoum, le jour même de l’annonce du retrait par le président français. Un moyen politique, si ce n’est coordonné, du moins pour contrer la peur d’une occasion pour les organisations terroristes de reprendre un espace laissé par les Européens.
Une illustration de la politique étrangère européenne
Cette décision du retrait du Mali est d’autant plus symbolique car prise au cours de la Présidence française de l’Union européenne. On se souvient le temps nécessaire à Emmanuel Macron, jusque fin 2021, pour convaincre différents États membres à accepter une participation, par l’envoi de forces spéciales ou d’officiers de liaison. À l’heure où la guerre a été déclarée aux frontières de l’Union, en Europe, la posture prise par ce dernier sur la scène européenne n’est pas anodine. Son dialogue permanent avec Vladimir Poutine, responsable de l’invasion russe de l’Ukraine, après cette décision de retrait militaire du Mali, tend à présenter le président français comme un leader européen, si ce n’est le leader sur les affaires étrangères et militaires, au détriment du Haut représentant aux affaires étrangères, Josep Borell. Ce qui laisse toute latitude pour se questionner : à quel point l’Union européenne a besoin d’une personnalité politique forte, qui plus est au pouvoir dans un État membre, pour la mener sur la scène internationale comme une puissance garante de la paix ? Quelle portée pour cette posture d’ « Europe puissance » ? Et surtout quel avenir dans le monde sans ces figures politiques nationales ?
Les Européens restent toutefois au Mali pour le moment, par le maintien de contingents allemands et britanniques comme Casques bleus, à travers la mission Minusma. Si cette présence n’a pas été remise en cause jusque là par la plus forte mortalité qu’ait subie une mission des Nations Unies (encore deux Casques bleus tués le 7 mars par un engin explosif improvisé près de Mopti, dans le centre du pays, plus de 150 depuis 2013), il pourrait l’être à cause du retrait français, à l’occasion de la révision annuelle de son mandat en juin 2022. En effet, malgré son effectif de 14 163 casques bleus (selon l’ONU, fin décembre 2021), la mission internationale bénéficie, jusqu’à ce retrait, d’un soutien aérien et médical non négligeable de la part des forces françaises. Mais les Casques bleus devront néanmoins rester pour compenser le départ européen du pays, si l’on veut voir poursuivre un travail de pacification d’un des nombreux pays déstabilisés par les actes hostiles terroristes et l’instabilité politique dans le Sahel.
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