Royaume-Uni : crépuscule d’une puissance mondiale ?

, par Alexis Vannier

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Royaume-Uni : crépuscule d'une puissance mondiale ?
Image : Pixabay

Rarement un État aura fait autant l’unanimité contre lui. Mais quand on sait qu’il s’agit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, on comprend mieux. Depuis 2016 et le choc du vote britannique en faveur de la sortie de leur pays de l’Union européenne, concordant à plus d’un titre avec l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis d’Amérique cinq mois après, le Royaume-Uni a perdu la cote en Europe et dans le monde mais également à l’intérieur même de la monarchie. La perfide Albion serait-elle en train d’expirer ?

Le navire britannique quitte le havre européen

Le 23 juin 2016, après une campagne lourden parfois nauséabonde et même meurtrière (Jo Cox, députée travailliste favorable à l’UE, a été assassinée par un déséquilibré militant néo-nazi une semaine avant le vote), avec 72% de participation, 51,89% des électeurs britanniques ont décidé de quitter l’Union européenne. Le troisième référendum de l’histoire du pays a sonné comme un coup de tonnerre en Europe alors que les sondages prédisaient une petite avance pour le Remain, « rester ».

S’ouvre alors la période de négociations pour définir les futures relations entre Bruxelles et Londres, feuilleton aussi interminable et désolant que dégrisant. Une chose est sûre cependant, le Royaume-Uni ne sera plus membre de l’UE et ne pourra donc plus influencer les politiques prises à Bruxelles, notamment en matière fiscale et migratoire. David Cameron puis Theresa May ont jeté l’éponge alors que leur tonitruant successeur Boris Johnson semble bien décidé à résoudre la crise, aux dépens du droit international et du respect de ses voisins européens. Avec des négociations qui traînent en longueur, un gouvernement qui ne respecte ni ses engagements, ni le droit international, le royaume semble plonger dans une période d’incertitude anxieuse et contribue à une division inédite du pays.

La citadelle gibraltarienne résiste aux voix espagnoles

Lors du référendum sur le Brexit, les 32 000 habitants du Rocher ont été très clairs. Situés au carrefour de l’Europe et de l’Afrique dont l’économie dépend plus de la santé de Madrid et du continent que de Londres, plus de 95% des électeurs se sont prononcés en faveur de l’Union européenne. Le gouvernement espagnol a donc une nouvelle fois exprimé ses revendications sur la souveraineté de Gibraltar, très vite balayées par Londres, Bruxelles et… Gibraltar elle-même. Seules 187 personnes avaient voté pour une souveraineté espagnole à l’occasion d’un référendum en 2002. Madrid a finalement annoncé qu’une frontière physique allait reprendre du service le 1er janvier 2021, un obstacle supplémentaire pour les travailleurs frontaliers notamment espagnols.

L’Écosse rêve toujours d’indépendance

Une grande menace cependant vient du Nord du royaume. En effet, les intrépides écossais veulent briser les chaînes de Londres pour suivre leur propre destin brisé en 1707. Une histoire et des coutumes bien différentes qui remontent à la conquête romaine et au Mur d’Hadrien continuent de diviser la Grande-Bretagne. Une faim de liberté qui a culminé en 2014 avec un référendum d’indépendance. Une campagne féroce a finalement profité aux loyalistes avec un peu plus de la moitié des électeurs. Cependant, la victoire du Brexit en juin 2016 a réchauffé les espoirs des nationalistes. En effet, 62% des Écossais ont soutenu le maintien du Royaume-Uni au sein du bloc continental. Si le soutien de Bruxelles à l’indépendance de l’Écosse n’est politiquement pas possible, l’UE représente une alliée stratégique dans le processus d’indépendance du côté d’Edimbourg face à Londres alors qu’une Écosse indépendante aurait économiquement tout intérêt à adhérer à l’union continentale.

Le Royaume de moins en moins uni est aujourd’hui engagé dans un bras de fer entre le gouvernement à Londres et Nicola Sturgeon, Première ministre nationaliste écossaise qui réclame la tenue d’un nouveau référendum alors que les sondages indiquent pour la première fois une probable consécration du camp nationaliste. Les élections locales de l’an prochain, qui devraient voir une nouvelle victoire nette du nationaliste SNP (Scots Naitional Pairtie), visiblement préservé par l’usure après trois succès successifs, constitueront un nouveau défi pour BoJo guère épargné par les bourrasques venues du Nord.

Vers la réunification irlandaise ?

L’autre menace interne provient du Nord-Ouest. Vieux loup de mer de la politique irlandaise et britannique, la réunification de l’île d’Émeraude semble elle aussi plus proche que jamais. La division de l’île provoquée par les tensions et vagues de violences interreligieuses entre les catholiques irlandais et les protestants nord-irlandais, est issue de l’Accord du Vendredi saint d’avril 1998 qui régit l’administration de la moitié Est du comté de l’Ulster. Mais aujourd’hui, l’Irlande compte parmi les pays les plus pacifiques au monde et les tensions religieuses tendent à diminuer avec la baisse du nombre de croyants des deux côtés de la frontière et la diminution de l’influence des religions, notamment en Irlande où l’avortement et le mariage homosexuel ont été légalisés et le délit de blasphème abandonné par voie référendaire au cours des cinq dernières années. De plus, le Brexit, véritable séisme politique, est venu abreuver les argumentaires des partisans de la réunification.

L’Irlande du Nord a voté majoritairement (56%) pour rester au sein de l’UE, avec une différence entre les régions frontalières favorables à Bruxelles et les régions côtières qui ont penché du même côté que l’Angleterre et le Pays de Galles, hormis la capitale Belfast. Les bons résultats du Sinn Féin (parti nationaliste irlandais prônant la réunification) en Irlande du Nord ont conduit à une crise politique sans précédent, privant Belfast de gouvernement pendant trois ans. En Irlande en 2020, déjouant ses propres pronostics, le Sinn Féin est arrivé pour la première fois de son histoire en tête des législatives (24,5% des voix).

La progression du parti républicain nationaliste et l’attachement de l’Irlande du Nord à l’UE sont autant d’indices illustrant la progression de l’idée d’une réunification de l’île chez les Nord-Irlandais (environ 50% pour les deux camps) et surtout chez les Irlandais (7 Irlandais sur 10 soutiennent la réunification). L’idée d’un référendum sur la question dans les dix ans est soutenue sur toute l’île.

Une monarchie en berne

En 1995, la moitié des Britanniques pensaient que la famille royale aurait disparu d’ici 50 ans ; en 2020, les deux-tiers soutiennent la monarchie quand environ 20% sont favorables à un changement de régime, voire à l’établissement d’une république. Le chiffre bondit en Écosse où près d’un tiers soutient l’abolition de la monarchie. Et, si elle est souvent minoritaire, cette opposition à la royauté se diffuse dans les pays du Commonwealth, entité qui a pris la relève de l’empire colonial britannique et qui permet à Elisabeth II d’être la cheffe de 16 États officiellement indépendants.

En Australie, l’échec du référendum sur la République en 1999 ne tient pas tant à l’attachement à la souveraineté du chef de l’État britannique sur l’Australie indépendante mais plutôt au mode d’élection indirect du futur chef de l’État australien. Une confortable majorité des Australiens approuvent d’ailleurs l’idée d’un national à la tête de l’île-continent.

En Nouvelle-Zélande, c’est à un autre symbole que le gouvernement s’est attaqué. En 2015-2016, le Premier ministre John Key proposait aux Kiwis de modifier leur drapeau pour supprimer la bannière britannique, l’Union Jack sur le quadrant côté hampe. Une proposition affichant la fougère et la Croix du Sud n’ont pas convaincu les électeurs qui ont voté pour garder un symbole de la colonisation. Les drapeaux australien, fidjien, néo-zélandais et tuvaluan sont construits de la même manière que les dépendances actuelles de la couronne britannique comme les Îles Caïmans.

Compte tenu de la très faible popularité du prince Charles, la question de la républicanisation se posera peut-être plus sérieusement à la mort d’Élisabeth II. C’est une question que la Barbade, petite île des Caraïbes voisine de Sainte-Lucie et de la Martinique, a fini par trancher. Après cinq ans de doutes, la Première ministre Mia Mottley a annoncé l’abolition prochaine de la monarchie sur son île à l’occasion du 55ème anniversaire de l’indépendance de la Barbade le 30 novembre 2021. Une nouvelle République qui suivra l’exemple du Guyana en 1970, de Trinité-et-Tobago en 1976 et de la Dominique en 1978 qui ont refusé la tutelle britannique du Commonwealth, et donne des idées à la Jamaïque dont ce processus « fait partie des priorités » du gouvernement.

Sur l’Empire britannique, le soleil ne se couchait jamais. Le Royaume-Uni pouvait alors compter sur des millions de kilomètres carrés de terre, de ressources, d’humains pour asseoir sa puissance mondiale. Son adhésion à l’Union européenne en 1973 a été très compliquée, sa sortie (2016-…) l’est encore plus. Le Brexit est une bombe politique dont la déflagration pourrait bien emporter l’existence même du Royaume-Uni au profit de désirs ardents d’indépendance ou de réunification, dans un contexte de remise en cause d’État unitaire. Le mouvement de républicanisation des pays du Commonwealth, loin de n’être que symbolique, représente un nouvel échelon essentiel de la décolonisation.

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