Russie : 9 ans de prison (de plus) pour Alexeï Navalny

, par Romane Delcroix

Russie : 9 ans de prison (de plus) pour Alexeï Navalny

Le 22 mars dernier, après un mois de procès, l’opposant politique russe Alexeï Navalny a été condamné à 9 ans de prison pour escroquerie et outrage à magistrat. Ces 9 ans s’ajoutent aux 2 ans et demi de détention qu’il purgeait déjà depuis un peu plus d’un an pour fraude. Après l’annonce de sa sentence, il s’exprime sur son compte Twitter suivi par quelques 2,9 millions d’internautes : « le meilleur soutien pour moi et les autres prisonniers politiques n’est pas la sympathie et les mots gentils, mais les actions. Toute activité contre les trompeurs et les voleurs du régime de Poutine. Toute opposition à ces criminels de guerre ».

Une condamnation dans un contexte particulier

Alors que la guerre d’Ukraine a démarré il y a plus de deux mois et comptabilise déjà plus de 3000 victimes civiles selon les chiffres de l’ONU, en Russie, Vladimir Poutine renforce son pouvoir personnel. La liberté de la presse, déjà fragile dans ce pays, est considérablement amoindrie. En témoigne la vidéo de la journaliste russe, Marina Ovsiannikova, qui a fait irruption lors d’un journal télévisé avec une pancarte pour dénoncer la propagande russe et qui fut immédiatement appréhendée après son action. D’autres vidéos de manifestants se faisant arrêter dans la rue pour avoir manifesté contre la guerre sont largement relayées sur les réseaux sociaux. Ainsi, le contexte particulier dans lequel cette sentence tombe n’est pas anodin. On peut facilement y voir une démonstration de force de la part du président Vladimir Poutine. Alexeï Navalny semble servir d’exemple des capacités de Poutine à faire taire l’opposition. D’autant qu’Alexeï Navalny a condamné la guerre en Ukraine, passant lui-même des vacances près de Tchernobyl durant son enfance avant la catastrophe nucléaire.

À l’origine de ses ennuis judiciaires : Le groupe de cosmétique Yves Rocher

Il ne s’agit pas là de sa première condamnation, Alexeï Navalny est une cible de longue date du pouvoir politique russe. C’est en 2012 que ses ennuis judicaires commencent. À l’époque, il possède avec son frère Oleg une société de logistique, Glavpodpiska. La boîte des Navalny travaille notamment pour la filiale russe d’Yves Rocher, Yves Rocher Volstok. Mais en 2012, ces derniers écrivent une lettre auprès du comité d’enquête de Russie parlant d’une surtaxation qu’ils auraient subi de la part des deux frères et demandent ainsi une enquête. En 2014, le groupe de parfums retire sa plainte mais la procédure judiciaire ne s’arrête pas pour autant. Face à cette ambiguïté, l’intégrité du groupe de cosmétique est contestée et il est soupçonné d’avoir collaboré avec le Kremlin pour faire taire Alexeï Navalny. Les deux frères seront condamnés à 3 ans et demi de prison. Avec sursis pour Alexeï mais fermes pour Oleg. En 2018, après qu’Oleg ait purgé sa peine, les Navalny portent plainte en France contre Yves Rocher pour diffamation. Dans le contexte de l’élection présidentielle française de 2022, Alexeï rappelle ces évènements dans un tweet où il appelle à voter contre Marine Le Pen, aussi soupçonnée d’avoir des liens avec le pouvoir politique russe, notamment bancaires.

Alexeï Navalny, son engagement et ses premières arrestations

Si Navalny est autant visé par le pouvoir russe, c’est notamment pour son engagement contre la corruption. Sa carrière politique commence en 2009, il est alors conseiller du gouverneur de l’oblast de Kirov (division administrative de type région). Parallèlement à son activité il tient un blog, Navalny, et un site internet, Rospil, où il dénonce des faits de corruption en Russie. En 2011 il créé la fondation Anti-Corruption qui a pour mission d’enquêter sur des faits de corruption. Elle est notamment à l’origine du reportage : « Un Palais pour Poutine » publié sur YouTube en 2021. La fondation sera d’ailleurs au cœur d’enquêtes pour blanchiment d’argent et détournement de fonds. Dans le cadre de son opposition politique, il sera de nombreuses fois arrêté et condamné, notamment pour avoir participé activement à des manifestations. En 2013, il annonce sa candidature à la mairie de Moscou. Il créé d’ailleurs la controverse en axant sa campagne sur la lutte comme l’immigration. Il récolte 27% des suffrages et légitime ainsi son action sans même être élu. La même année, il sera condamné à 5 ans de camp pour détournement de fond dans le cadre de sa fonction de conseiller au détriment d‘une exploitation forestière, Kirovles. Pendant son procès, il s’exprime devant le juge au tribunal de Kirov : « Le principal objectif de cette affaire est de m’écarter de la scène politique ». En appel, sa peine sera réduite à du sursis, le Kremlin craignant des vagues de contestation. L’affaire Kirovles aura de lourdes conséquences pour la carrière politique d’Alexeï. En effet, après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2018, la commission électorale le déclarera inéligible du fait de sa condamnation pour fraude. Le gouverneur de Kirov, Nikita Belykh, sera aussi arrêté en 2016 et condamné à 8 ans de prison pour avoir reçu des pots de vins sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’un procès politique ou non. Son engagement lui a donc valu de nombreuses arrestations et condamnations sans pour autant que cela diminue son influence.

Empoisonnement d’août 2020 : La radicalisation des méthodes russes

Dans l’impossibilité de faire taire l’opposant, les attaques du pouvoir russe se radicalisent. C’est lors d’un trajet en avion qu’Alexeï Navalny ressent les premiers symptômes d’un empoisonnement. Plongé dans un coma artificiel, il sera dans un premier temps hospitalisé à Omsk, une ville au Sud-Ouest de la Sibérie où les analyses toxicologiques russes ne montreront aucun signe d’empoisonnement. Il est transféré deux jours plus tard à l’Hôpital de la Charité à Berlin où il sera maintenu dans le coma en attendant l’amélioration de son état. En septembre 2020, le gouvernement allemand affirme avoir la preuve qu’Alexeï Navalny a été empoisonné avec un agent neurotoxique de type Novitchok, développé en URSS. Le Kremlin se défendra de toute accusation en faisant de nombreuses déclarations souvent contradictoires. Mais le 6 octobre 2020, l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) confirmera la présence d’un inhibiteur de la cholinestérase. Cette affaire aura de larges retentissements diplomatiques et 45 pays, par le biais de l’OIAC, demandent à la Russie une transparence et une collaboration dans le cadre de l’enquête. Le 17 janvier 2021, 4 mois après s’être réveillé, Navalny rentre en Russie. Initialement censé atterrir à l’aéroport de Vnoukovo, son avion sera dérouté vers l’aéroport de Moscou-Cheremetievo où il sera interpellé. Le 2 février, il est condamné pour avoir violé son contrôle judiciaire dans l’affaire « Yves Rocher Volstok » alors qu’il était hospitalisé en Allemagne. Depuis sa nouvelle condamnation du 22 mars, sa libération est prévue pour 2033.

Les réactions européennes

Le cas d’Alexeï Navalny est connu des instances européennes bien avant son empoisonnement. On peut d’ailleurs relever que dans le cadre de son engagement, il souhaite que la Russie se rapproche de l’UE et de l’OTAN. Le 20 janvier 2021, à la suite de son arrestation en Russie, il dépose un requête auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a abouti à la demande de libération de Navalny le 17 février. L’Union européenne s’attache à dénoncer le caractère politique des nombreuses arrestations et condamnations de Navalny mais peine à rester unie. En effet, certains pays européens comme la France et l’Allemagne ont déjà pris position sur le cas de Navalny en dehors de l’UE. Malgré ces injonctions, la Russie continue d’enfreindre les conventions internationales, comme dans le cadre de la guerre en Ukraine. Pour le moment, Alexeï Navalny purge sa peine dans une colonie pénitentiaire à 100 km de Moscou, en attendant une amélioration de sa situation.

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