Russie-Ukraine, crise (armée) en Europe en 2022 ?

, par Volkan Ozkanal

Russie-Ukraine, crise (armée) en Europe en 2022 ?
Volodymyr Zelensky, Angela Merkel, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, le 10 décembre 2019, lors d’une rencontre dont le « format Normandie » a été adopté pendant la guerre du Donbass (Source : Wikipedia Commons)

A peine les agapes des fêtes de fin d’année finies et alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 connaît un nouveau rebond avec le variant Omicron, l’Europe va-t-elle devoir subir une guerre à ses frontières ? Les vives tensions entre la Russie et l’Ukraine sont déjà sources d’inquiétudes en cette nouvelle année de tous les dangers, à bien des égards.

De la « Grande famine » à la Crimée, relations tendues entre Moscou et Kiev sur fond d’OTAN

Dans la vie, bien souvent, la fin d’année constitue un moment de détente et une pause bienvenue après plus de 350 jours harassants. Pourtant, dans l’histoire, les fins d’années ont souvent charrié leurs lots de surprises et de chocs planétaires. Preuve en est avec l’année 1989 et la chute de Nicolae Ceausescu en Roumanie un soir de Noël. Ou bien encore la fin de l’Union des républiques socialistes soviétiques, plus connue sous l’acronyme de l’URSS le même jour mais deux ans plus tard, en 1991. En cette nouvelle année donc et alors que 2022 vient à peine de débuter, la guerre froide est-elle sur le point de renaître de ses cendres du côté de Kiev ?

Alors que la Russie a « célébré » le 25 décembre dernier, les 30 ans de la chute de l’Union soviétique, Moscou veut rappeler que la Russie possède différents moyens de pression lui permettant de défendre (ou étendre) sa zone d’influence. En clair, qu’il faut compter sur elle dans la région pour défendre ses intérêts, quoiqu’il advienne.

Depuis quelques semaines, l’Ukraine se (re)trouve au centre d’un conflit face à son encombrant voisin. Un conflit qui fait écho à une histoire complexe entre les deux pays, qui a commencé avec la Grande famine de 1932 que Staline avait organisée afin d’affamer l’Ukraine, grenier à blé et réfractaire à la tutelle soviétique, et auquel le terme ukrainien Holodomor renvoie. Plus récemment, en 2004, l’élection présidentielle opposant les deux Victor, Iouchtchenko soutenu par le camp occidental face à Ianoukovytch, soutenu, lui par le président russe, Vladimir Poutine, avait abouti à des manifestations lors de la Révolution orange. Sans compter l’annexion armée de la Crimée en 2014 et la guerre du Donbass sur fond de rattachement de ladite Crimée au sein du territoire russe qui avait provoqué une levée de boucliers au sein de la communauté internationale. Une Crimée revendiquée par Moscou comme étant sous sa coupe tutélaire.

Dès lors, si les récentes rodomontades peuvent être analysées comme un moyen de pression classique permettant au président russe de montrer que l’ancien « grand frère » veille et que l’Ukraine est, en quelque sorte, sous sa coupe historique, politique, économique voire religieuse, l’escalade militaire actuelle doit se lire d’une autre manière, beaucoup plus piquante et vive. La cause du courroux moscovite ? L’extension éventuelle et l’inclusion de Kiev au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

L’OTAN donne des aigreurs à Poutine qui voit d’un très mauvais œil son voisin direct être rattaché à une organisation militaire souvent opposée à la Russie. Le déploiement d’armes et de militaires à la frontière ouest russe est en outre considéré par le Kremlin comme une attaque directe envers ses intérêts. Sur le versant Est, l’éventuelle adhésion de la Géorgie, est une autre velléité qu’il faut étouffer dans l’œuf. Une Géorgie qui a également eu maille à partir avec les Russes, notamment en 2008 avec la guerre d’Ossétie du sud.

Ces enjeux de sécurité nationale et de protection de ses frontières expliquent l’escalade entre Moscou et Washington qui soutient le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Pour l’Ukraine, au vu de sa situation actuelle, il s’agit surtout de se sécuriser militairement grâce à l’Organisation atlantique en cas d’agression réitérée de la Russie. Il s’agit également pour Kiev de s’arrimer vers l’Union européenne en reléguant au loin son encombrant voisin. Une quadrature du cercle difficile à tenir pour l’Ukraine et son président qui se trouvent au milieu du gué entre leur volonté d’indépendance et la nécessité de chercher des appuis pour échapper à la puissance tentaculaire russe.

Washington prend le relais pour… négocier ?

En cas de conflits et avant d’arriver à des extrémités que toutes les parties pourraient fatalement regretter, il faut avancer diplomatiquement ses pions. La Russie a marqué un point en tapant du poing sur la table tout au long du mois de décembre et en montrant qu’elle ne se laisserait pas faire, tout en disant ouverte à une négociation. Une façon pour le Kremlin de lancer une pierre dans le jardin américain. Dès lors, c’est une partie de poker qui se joue avec les Etats-Unis du président Joe Biden.

Soutien indéfectible de l’Ukraine, les Etats-Unis doivent donc jouer leur partition finement. D’un côté, montrer qu’ils ne laisseront pas l’Ukraine être attaquée par la Russie sans réagir et en laissant la possibilité ouverte d’intervenir militairement en cas d’agression. Cependant, diplomatiquement, des « consultations bilatérales russo-américaines » doivent avoir lieu le 10 janvier prochain à Genève afin d’engager une « désescalade ». Une manière de montrer que chacune des parties joue sa partition. Face à l’autre, il sera intéressant de voir jusqu’où iront les Etats-Unis face à une Russie inflexible sur sa « ligne rouge » ukrainienne. Quoiqu’il en soit, le but recherché par la Russie était sans doute un moyen de « forcer » la main des Américains en les amenant à la table des négociations afin de discuter des revendications du Kremlin. En face, les Etats-Unis, tout en indiquant être prêts à discuter sans concession, tendent vers une « approche ukrainienne claire et constante : rassembler l’Alliance atlantique vers deux directions, la dissuasion et la diplomatie ».

Un « tournant européen » possible ?

Russie vs Etats-Unis, un remake 3.0 de la Guerre froide ? Si le chemin semble être pris, quid de l’Europe alors que la France a pris la Présidence du conseil de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2022 ? Sur ce point, dans un souci de préservation des équilibres, le président français, Emmanuel Macron, tente de ménager principalement la partie russe en tendant la main au président Poutine à travers le « travail effectué par la diplomatie russe concernant le renforcement de la stabilité et la sécurité sur le continent européen ». Dès lors, il faut bien reconnaître que la voix de l’Europe sur un enjeu aussi fondamental n’est pas entendue. Entre une présidence française qui débute à peine, une épidémie de Covid-19 repartie à la hausse, l’arrivée à la Chancellerie allemande d’Olaf Scholz et les divisions récurrentes entre les Etats-membres de l’UE (Hongrie, Pologne) tels que les intérêts divergents sur le gaz russe dont dépend l’Allemagne, difficile pour celle-ci de se faire entendre. Face à Washington et Moscou, l’UE semble donc avoir du mal à trouver sa place.

Il est certes difficile de mesurer la capacité russe d’envahir (le veut-elle vraiment ?) l’Ukraine et celle américaine (le peut-elle ?) d’intervenir le cas échéant. Toutefois, l’Europe gagnerait à se doter de structures, notamment militaires, lui permettant de sécuriser sa zone d’influence.

Si les Etats-Unis discutent directement avec l’Ukraine, pays également candidat à l’adhésion à l’UE, face à une Russie qui ne se laissera pas marcher sur les pieds, la position de l’Union semble être réduite à son nom. Faire l’union entre les intérêts américains d’une part et russes de l’autre. Emmanuel Macron a indiqué lors de ses vœux aux Français le 31 décembre dernier vouloir faire de la présidence française, un « tournant européen ». Dans cette optique, entre les Etats-Unis et la Russie, l’occasion est trouvée pour l’Europe d’avoir, enfin, voix au chapitre en affirmant ses principes intangibles, en renforçant ses liens avec toutes les parties mais également et surtout, en lui permettant de montrer qu’elle est unie sur des problématiques allant bien plus profondes que de simples querelles de voisinage.

Face à des pays adeptes du passage en force, l’histoire rappelle souvent que l’inaction est la pire des fautes politiques et humaines. L’Europe se doit de se doter d’outils capables de lui conférer une puissance diplomatique, politique voire militaire, nécessaire pour intervenir à tous les niveaux en cas de conflits. Dans une espèce de zone grise, tout est permis et l’Europe doit davantage être en position offensive et défendre ses intérêts de manière pérenne. A l’instar de l’adage sportif qui veut que la meilleure des défenses soit l’attaque. 2022 est une année charnière à bien des égards et l’Union européenne devra y consacrer ses forces sous peine de voir renaître une guerre sur son territoire, pas seulement froide, que l’on croyait avoir vu disparaître.

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