Quels sont les principaux médias avec lesquels les Hongrois s’informent ? Ces médias sont-ils tous contrôlés par le gouvernement ?
Depuis sa victoire électorale en 2010, la coalition Fidesz-KDNP s’est emparé du terrain médiatique hongrois. Nombreux sont ceux qui qualifiaient l’ancien réseau des médias pro-Fidesz de l’oligarque Lajos Simicska d’« empire médiatique ». Mais le degré de contrôle effectué par le Fidesz depuis 2010 est allé bien plus loin que cela. L’emprise d’Orbán et de son parti sur les média se consolide à travers leurs alliés politiques et leurs sbires dans l’économie hongroise. Elle s’étend maintenant à des chaînes de télévision et radio (TV2, Radio 1), des quotidiens (Magyar Hírlap), des hebdomadaires (Demokrata, Lókal), et des sites en ligne, comme Origo.hu et 888.hu.
Les Hongrois sont plus nombreux à s’informer via la télévision que via les sites internet. Pour autant que je sache, ce sont les deux genres de médias les plus consultés en Hongrie. La radio est plus fréquemment considérée une source d’information supplémentaire, et la presse écrite n’est plus aussi populaire qu’avant.
La chaîne de télévision RTL est très populaire, voire la plus populaire, dans le pays. Parmi les sites en ligne, Index était l’un des plus populaires aussi : il était consulté chaque jour par des millions de Hongrois. Internet s’est bien développé en Hongrie depuis des décennies, avec un taux de pénétration d’au moins environ 80%.
Toutefois, je pense qu’il y a toujours une division importante entre les citadins et les résidents des petits villes et de la campagne. Dans une certaine mesure, Index était l’un des sites d’informations qui pouvait transcender cette division : les lecteurs sympathisants du Fidesz sont aussi nombreux que les électeurs des autres partis. Certains le considéraient comme un outil de l’opposition politique hongroise – et c’est vrai que beaucoup de ses rédacteurs ont soutenus des partis comme Momentum et Demokratikus Koalíció – mais Index était plutôt transpartisan et ne faisait pas exactement la même chose que Magyar Narancs, qui s’associait souvent aux Libéraux hongrois, ou Népszava, qui était le journal officiel du parti socialiste hongrois (MSZP).
« Dans une certaine mesure, Index était l’un des sites d’informations qui pouvait transcender la division entre les électeurs du Fidesz et ceux des autres partis »
Comment les Hongrois réagissent-ils à la prise de contrôle de médias comme Népszabádsag ou encore Index.hu ?
Avec des protestations, tout d’abord. Comme en 2016, quand Népszabádsag a été fermé, des milliers de Hongrois ont défilés dans les rues pour exiger un changement de cap, pour plus de liberté de la presse, pour la fin de la corruption, etc. Mais il ne faut pas oublier que les manifestations en 2016 n’ont pas duré très longtemps, et n’ont pas changé beaucoup de choses. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de ces nouvelles protestations.
D’ailleurs, elles constituent seulement une partie de la réponse. Une autre partie est les débats que la situation d’Index a suscités dans les médias. Officiellement, par exemple, le gouvernement n’y est pour rien : l’effondrement d’Index, c’est la faute d’un marché des médias en pleine mutation et peut-être même de la mauvaise gestion de ses propriétaires. Mais il y a d’ores et déjà des spéculations et des théories du complot sur ce qui s’est vraiment passé. Selon András Bencsik, il s’agit d’une querelle parmi les membres d’opposition politique. En revanche, si on écoute ce que disait Eva Balogh de Hungarium Spectrum, il est plus probable que Mária Schmidt (et d’autres personnes liées à Viktor Orbán) soit derrière la chute d’Index. On a donc vu des réactions très variées ces dernières semaines.
Quand tu étudiais à la CEU de Budapest, comment percevais-tu les pressions du gouvernement à l’égard de la CEU ?
Ni moi, ni les autres étudiants n’ont ressenti quelques pressions que ce soit, si c’est cela que tu veux dire. Quand je suis arrivé à Budapest pour commencer mes études en septembre 2019, les protestations contre la loi anti-CEU, dit « Lex CEU », étaient déjà terminées.
De plus, à mon avis, les professeurs, pas plus que les étudiants, ne subissaient de pressions. Certes, leur vie quotidienne était chamboulée, du moins temporairement. Mais je ne sais pas si quelque chose de plus grave s’est passé pour eux. Voilà ce que j’ai pu observer là-bas.
Comment penses-tu que la situation des médias en Hongrie va évoluer ?
En tant qu’étranger, c’est assez difficile pour moi de deviner. Ma connaissance de la langue hongroise est maigre, et je ne me suis pas trop immiscé dans le contexte culturel, institutionnel, et politique. Je ne peux guère prendre le pouls de ce pays, donc.
Mais je dirais deux choses. La première, et cela fait allusion à ce que je disais plus tôt, tient à la popularité d’Index en tant que source d’information. Si Index ne va probablement pas disparaître, il ne sera néanmoins plus comme avant. Et je doute que ses lecteurs lui resteront fidèles s’il est transformé en outil de propagande pro-gouvernement, comme Origo ou Magyar Hírlap. D’autres pure player indépendants, comme HVG, 444.hu ou 24.hu, peuvent peut-être bénéficier d’un tel « exode ».
La deuxième chose que je veux dire, c’est que ces médias indépendants pourraient subir la même chose qu’Index. Les méthodes qu’ont utilisées les sbires pro-Fidesz pour faire tomber Index peuvent également être utilisées pour d’autres médias. Les organes de presse en Hongrie sont plutôt fragiles : pour les asphyxier, il faut seulement que le gouvernement et ses alliés fassent ce qu’ils ont déjà fait pour d’autres médias. Tout comme des intellectuels tels que Balazs Csekö et Gáspár Miklós Tamás, je crois que la situation en Hongrie devient désespérée.
« Les méthodes qu’ont utilisées les sbires pro-Fidesz pour faire tomber Index peuvent également être utilisées pour d’autres médias indépendants »
Comment l’Union européenne pourrait-elle protéger la liberté de la presse en Hongrie ?
Je vais être franc, je suis très pessimiste. Même si l’Union Européenne ne doit pas faire l’autruche, elle a très peu de marges de manoeuvre. L’UE a déjà beaucoup de mal à protéger l’état de droit dans un pays comme la Hongrie ou la Pologne. Néanmoins, elle a aussi plusieurs outils qu’elle peut utiliser pour le faire, bien qu’ils soient très limités. Par contre, protéger et renforcer la liberté de la presse dans un état-membre, ça ne relève pas de l’UE selon ses traités fondamentaux (même si l’article 2 du TUE mentionne expressément le pluralisme, donc le pluralisme médiatique en interprétant, ndlr).
« Même si l’Union Européenne ne doit pas faire l’autruche, elle a très peu de marges de manoeuvre [pour protéger la liberté de la presse en Hongrie] »
Je souhaite que les institutions européennes se penchent sur cette question. C’est une question très importante, qui a surgi maintes fois en Europe pendant la décennie précédente, comme par exemple en Europe du Sud-Ouest, où les violations de la liberté de la presse sont plus communes que dans d’autres parties du continent. Dans les Balkans d’aujourd’hui, on voit le populisme mêlé avec la polarisation politique, ainsi que la concentration des compagnies de médias aux mains d’oligarques et l’ingérence des gouvernements dans le terrain médiatique. La soi-disant « défense » de la nation contre la « propagande » des médias étrangers devient de plus en plus populaire aussi. La Pologne commence à ressembler à la Biélorussie à cet égard.
La liberté de la presse est pourtant une valeur fondamentale de l’Union Européenne. En Hongrie, l’UE peut subventionner des activités journalistiques en octroyant des fonds ou des ressources. Elle peut fournir et maintenir l’infrastructure pour une couverture journalistique qui est relativement fiable et non-biaisé. Considérons Euronews, par exemple – quelles seraient les conséquences pour les journalistes hongrois si elle venait à disparaître aussi ? Mais c’est la seule chose que je pense l’UE peut faire pour rectifier cette situation. Comme j’ai déjà mentionné, je suis très pessimiste.
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