Quand, il y a quelques semaines, fonctionnaires américains et européens avertissaient sur une possible action militaire sur le sol Ukrainien, l’opinion publique était en majorité effarée, alors même que l’armée russe était autour de la frontière ukrainienne depuis mars 2021.
Quand, il y a une semaine, la Russie reconnaissait officiellement les autoproclamées républiques populaires de Donetsk et de Luhansk et y a ensuite envoyé des troupes à leur demande pour se défendre face à l’armée ukrainienne, l’opinion était alors qu’il s’agissait d’une action provocante étirant au maximum le droit international. Après tout, même s’ils reposent sur des territoires officiellement revendiqués par l’Ukraine, la Russie est en droit de reconnaître ces républiques. De nombreux autres pays ont reconnu d’autres républiques autoproclamées par le passé.
Mais quand, en ce 24 février, les troupes russes ont pénétré le territoire ukrainien non contesté, il n’y a pas eu d’autres mots que ceux de « guerre » et « invasion » pour décrire cela. Le président russe Vladimir Poutine n’avait pas de réelle raison d’attaquer l’Ukraine. L’adhésion à l’OTAN était une possibilité mais n’était aucunement en voie de se réaliser et le conflit au Donbass s’alimentait depuis 2014. Le timing de ces événements semble être davantage lié à la pandémie et à la réduction du gaz naturel imposée par la Russie elle-même depuis juin dernier, mettant sous pression de nombreux pays de l’UE au cours de l’année écoulée. Après deux ans de pandémie et plusieurs mois de hausse des prix du gaz, Vladimir Poutine sait que les gouvernements occidentaux peuvent difficilement proposer à leurs citoyens de mener une guerre pour protéger un autre pays.
Les raisons officielles qui ont été données par la Fédération de Russie sont effroyables : l’objectif apparent est de « dénazifier » l’Ukraine, c’est-à-dire de renverser le gouvernement ukrainien actuel, coupable de ne pas être loyal envers la Russie et de trop regarder vers l’Occident. Avec pour ultime objectif de réunir les deux pays slaves. Considérant qu’une majorité de la population est aussi ethniquement slave en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie, en Slovénie, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie, au Monténégro, en Macédoine du Nord et en Bulgarie, tout cela laisse à réfléchir. Le concept de la Russie comme la « mère » de tous les pays slaves a été conçu il y a plus de cent ans, mais est toujours bien vivant.
Il s’agit là d’un argument extrêmement dangereux, et des actions en découlent. Répétons clairement une fois encore ce qu’il s’est passé : l’actuel gouvernement russe a pris la décision d’envahir l’espace souverain d’un État souverain, uniquement parce que cet État souverain n’a pas montré la loyauté que le gouvernement russe pense mériter, basé sur l’affirmation (évidemment) non vérifiable selon laquelle « la Russie est la nation mère de tous les Slaves ». Cela va à l’encontre du principe internationalement accepté, inscrit dans la charte des Nations unies, qui interdit toute atteinte aux droits souverains.
Si nous voulons vraiment faire des comparaisons avec le nazisme, ce n’est pas avec la partie ukrainienne qu’elle se ferait.
Par ailleurs, Vladimir Poutine pourrait avoir quelques objectifs moins visibles : montrer que des régimes hybrides peuvent triompher sur des démocraties entières. Que la Russie fait ce qu’elle veut sans être arrêtée. Et qu’elle peut tester la résilience des gouvernements européens et américains. Ce qui est clairement démontré dans ses déclarations menaçant de réactions « comme vous n’en avez jamais connues », si quelqu’un s’aventurait à interférer avec les actions de la Russie.
Et maintenant, l’éléphant dans la pièce. L’armée russe a près de 5000 ogives nucléaires disponibles. Les utiliser serait inconcevable. Mais tout comme l’invasion ukrainienne l’était il y a encore quelques semaines.
Le « stress test » auquel se sont soumis les pays occidentaux a déjà échoué : tous les efforts diplomatiques ont été vains. La Russie a attaqué l’Ukraine sans raisons apparentes. Les attaques sont venues, non seulement de la frontière reconnue, mais aussi du territoire annexé de Crimée et, pire encore, du Belarus. Aggravant ainsi les relations déjà difficiles entre le Belarus et le reste de l’Europe.
L’UE a échoué à ce test, principalement parce qu’elle ne dispose toujours pas d’une politique étrangère unique et, surtout, d’une armée unique. Vladimir Poutine ne la considère pas comme un interlocuteur. Il mentionne fréquemment l’OTAN, et discute de manière bilatérale avec les gouvernements de certains pays européens.
Malheureusement, nous approchons du paradoxe d’avoir besoin de la guerre pour préserver la paix : laisser la Russie revendiquer des territoires « russophones » dans d’autres pays souverains n’est pas loin de laisser Hitler accomplir l’Anschluss - et nous savons ce qui s’est passé ensuite. Ce point est particulièrement important pour l’UE, car d’autres anciens territoires soviétiques font désormais partie de l’UE - et en Estonie, en Lettonie et en Lituanie, une partie importante de la population est ethniquement russe.
L’aspiration de l’UE pour la paix est admirable mais dangereuse face à des interlocuteurs, aspirant plus à des actions militaires qu’à la paix, se rapprochent de ses frontières. Ils ont déjà montré qu’ils n’avaient pas peur de pénétrer ces frontières. Mais malheureusement, l’UE a toujours besoin de se protéger et par conséquent l’UE a besoin d’une armée. Dans ce cadre, l’UE devrait repenser le modèle de l’OTAN. Le modèle actuel, déséquilibré et orienté vers les États-Unis, n’est plus viable.
Et, encore une fois, laisser la Russie envahir l’Ukraine crée un dangereux précédent. Quid de la Chine vis-à-vis de Taïwan dans ce cas ?
Hélas, les gouvernements européens hésitent à tout donner pour nuire à l’économie russe en infligeant des sanctions qui auraient un grand impact sur l’UE également. Comme nous le savons tous, l’interdépendance entre l’Europe et la Russie, particulièrement dans le secteur de l’énergie, est profonde. Une autre raison pour développer un plan européen de l’énergie dans le futur. En attendant, il faudrait même envisager de rationner l’accès au chauffage et à l’électricité en Europe, si cela pouvait sauver l’Ukraine. Les peuples européens laisseront-ils cela se produire ? Les centaines de rassemblements pour la paix organisés dans toute l’Europe pourraient laisser penser que oui.
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