Sommet UE - Ukraine : quel bilan ?

, par Corentine Prince

Sommet UE - Ukraine : quel bilan ?

L’Ukraine peut-elle vraiment se permettre de poursuivre son processus d’adhésion et de mener une guerre ? Le dernier sommet UE-Ukraine marque officiellement un point de rupture dans l’attitude de l’Union européenne : nous passons d’une réticence pour envoyer des chars à un soutien clair. Retour sur l’intérêt de l’Union européenne à prendre ouvertement position dans ce conflit.

Que s’est-il fait, que s’est-il dit ?

Le 3 février 2023 s’est organisé à Kiev le 24e sommet UE-Ukraine. Il a eu lieu dans un contexte très particulier : celui de l’agression militaire russe à l’encontre de l’Ukraine, un conflit qui a débuté le 24 février 2022. Ce contexte change considérablement les relations entre l’Ukraine et ses partenaires européens.

Cet événement fait suite à la rencontre du 2 février 2023 entre la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, quinze commissaires, et le premier ministre ukrainien Denys Chmyhal. La journée a été l’occasion d’aborder les questions de l’aide européenne d’urgence, de la préparation à la reconstruction de l’Ukraine, des réformes déployées par celle-ci, et du renforcement de leur coopération, notamment dans l’accès aux programmes européens clés comme le marché unique.

Cette réunion inédite a permis d’identifier les besoins de l’Ukraine et d’aboutir à quatre engagements : un partenariat stratégique sur des gaz de synthèse renouvelables pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles, la poursuite de l’aide financière de l’UE en faveur de l’Ukraine (d’un montant de 50 milliards d’euros depuis le début du conflit), la mise en place d’un mécanisme de protection civile facilitant la livraison de générateurs, et enfin une ouverture au bureau Horizon Europe.

Autre fait remarquable : les questions sur la trajectoire européenne de l’Ukraine dans son processus d’adhésion ont été largement abordées, ainsi que les initiatives de cette dernière en faveur d’une paix juste et d’une sécurité alimentaire mondiale.

L’Ukraine : un pays en guerre et un pays candidat à l’Union européenne

Ce qui est intéressant ici, c’est le statut double de l’Ukraine : comme pays en guerre, mais également comme pays candidat à l’Union européenne. Cela s’explique par le fait que rejoindre l’Europe est devenu le symbole de quitter la Russie. Mais l’Ukraine peut-elle vraiment mener de front une guerre en même temps qu’une candidature, dont nous connaissons les longueurs administratives ? Quelle stratégie derrière cette double peine ?

Le statut de pays candidat a été accordé à l’Ukraine en juin 2022, autrement dit, quatre mois après le début de l’agression russe.

Pourtant, si la candidature nécessite le seul respect des valeurs de l’Union européenne, le processus d’adhésion à l’Union européenne est quant à lui bien plus complexe et peut prendre plusieurs années.

En effet, ce dernier requiert un système démocratique stable, une économie de marché viable, et demande d’assumer certaines obligations de l’adhésion comme la souscription aux objectifs de l’union politique, économique, la reprise de “l’acquis communautaire”, c’est-à-dire la transposition de l’ensemble du droit européen à la législation nationale, etc. Ensuite, il faut que le traité d’adhésion soit ratifié par tous les pays membres.

Toutes ses conditions semblent a priori être d’une importance mineure dans l’état actuel de l’Ukraine, voire contradictoires avec l’urgence de la guerre. L’élargissement de l’Union européenne est avant tout un puissant levier en faveur de réformes démocratiques et économiques. L’aide financière et l’assistance militaire des Européens restent néanmoins parallèles à l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine.

“Vous êtes devenu un pays candidat tout en luttant contre une invasion.”

À travers cette phrase, Ursula von der Leyen traduit le statut double de l’Union européenne : celui d’adjuvant, mais également celui de producteur de contraintes.

En effet, la Présidente de la Commission appuie la persévérance du peuple ukrainien dans la résistance contre la Russie et sa détermination à adhérer à l’Union européenne. Elle met en avant la simultanéité, ce qui peut donner l’impression que les deux sont hétérogènes. Nous pouvons y voir une stratégie du discours qui consiste à faire comme si l’état de guerre ukrainien n’était pas un passe-droit dans son processus d’adhésion, et en ce sens contrarier ce que les médias ont pu dire.

La manière dont Ursula von der Leyen aborde le sujet de la reconstruction illustre bien cela. Bien qu’elle insiste sur la nécessité d’une reprise rapide, elle entend participer à ce projet dans le cadre des objectifs européens. Autrement dit, la reconstruction sera calquée sur le projet NEB (Nouveau Bauhaus Européen), ou ne sera pas. Ce dernier met en avant une architecture durable, inclusive et esthétique.

La pertinence de cette planification de reconstruction à long terme pose question à un moment où des solutions en termes de logement d’urgence sont également attendues.

Du point de vue de l’UE : quel intérêt pour cette candidature spéciale ?

Les autres médias traitant de ce sommet mettent en avant l’enthousiasme de l’UE pour la candidature ukrainienne. Cela finit par donner l’impression d’une certaine injustice en faisant passer l’intégration de l’Ukraine comme une priorité. En effet, ce pays compte parmi d’autres candidats en attente d’intégration : la Moldavie, l’Albanie, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, et la Turquie dont la candidature remonte à 1999.

Nous pensons par exemple à l’enthousiasme ouvertement affiché du Président du Conseil européen Charles Michel. Mais cet angle de traitement des médias est à nuancer. En effet, Charles Michel n’a pas le même rôle qu’un représentant de la Commission. Il est le représentant des gouvernements de l’Union européenne, ce qui est différent d’un rôle complètement politique comme celui d’Ursula von der Leyen. Son enthousiasme est à distinguer de la position politique officielle de l’Union européenne.

Il est vrai que l’UE a la possibilité d’influer sur l’avancée de certaines candidatures. En effet, d’un côté celle-ci use du critère de capacité d’absorption pour freiner un pays dans sa candidature, comme c’est le cas pour la Turquie, alors même que l’Espagne et le Portugal avaient été intégrés avec un budget insuffisant.

Mais d’un autre côté, le Parlement européen a indiqué dans un communiqué publié le 23 juin 2022 qu’il n’y aura pas de “procédure accélérée” pour l’adhésion de l’Ukraine, et a également rappelé que la progression de chaque pays dans le processus d’intégration dépendait de ses propres mérites. Et le discours de la Présidente de la Commission insiste également sur les différentes étapes du processus.

Sa déclaration du 2 février 2023 va dans le même sens, sans toutefois dissimuler son soutien. Elle souligne les “progrès impressionnants pour respecter les sept étapes énoncées dans l’avis de la Commission”, mais aussi qu’ “alors que l’Ukraine progresse sur la voie de son adhésion à l’Union européenne, nous faisons tomber encore plus les barrières entre nos économies et nos sociétés. Aujourd’hui, nous proposons à l’Ukraine de participer à des programmes européens clés. L’Ukraine pourra ainsi bénéficier d’”avantages proches de ceux conférés par l’adhésion à l’UE dans de nombreux domaines.”

Ursula von der Leyen se réfère ici à [la création de la Communauté politique européenne (CPE). En effet, dans un contexte de conflit russo-ukrainien, il devient urgent pour les Vingt-Sept de considérer la “périphérie oubliée” de l’Europe, bien que celle-ci ne réponde pas encore aux exigences de l’Union.

Cependant, le débat stratégique d’Emmanuel Macron le 9 mai 2022 lors de la cérémonie de clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe met en avant le statut de cette CPE comme plateforme de dialogue politique et de coordination pour les pays européens ne faisant pas partie de l’UE, sans pour autant s’y substituer.

Le statut délicat de l’UE vis-à-vis de la Russie

Jusqu’ici, l’UE essayait de ménager Moscou. Aujourd’hui, l’engagement de l’Europe est tel que la guerre ne peut plus être perdue. En effet, la découverte du massacre de Boutcha est à l’origine d’un changement radical dans la perception européenne du conflit. Et c’est ce que Ursula von der Leyen met largement en avant pour légitimer sa prise de position en faveur de l’Ukraine.

Mon deuxième message aujourd’hui est que nous faisons payer le prix de cette guerre atroce à Poutine. [...] Par conséquent, nous étudions avec nos partenaires comment utiliser les biens publics de la Russie au profit de l’Ukraine. [...] Et la Russie doit répondre de ses crimes odieux devant les tribunaux.

Ce qu’il est intéressant ici de voir, c’est que l’UE n’envoie pas seulement du matériel aux ukrainiens, mais également du personnel chargé de collecter des preuves dans le cadre de poursuites relatives au crime d’agression. C’est pourquoi Ursula von der Leyen annonce la création d’un Centre international à la Haye.

Ce sommet marque un tournant dans l’engagement de l’UE auprès de l’Ukraine. D’une réticence à livrer des chars à cause d’une position délicate vis-à-vis de la Russie, nous passons à un signal très clair avec la présence de la Présidente de la Commission et de commissaires à Kiev : “c’est l’Union européenne toute entière qui s’engage dans la durée aux côtés de l’Ukraine”. Cette déclaration prend place dans un contexte d’urgence où le président ukrainien multiplie les déplacements en Europe pour solliciter de l’aide à l’approche de la funèbre date anniversaire du début du conflit.

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