Le « précédent » des Spitzenkandidaten en 2014
Le Traité de Lisbonne limite pour la première fois le libre-arbitre des chefs d’état et de gouvernement pour la désignation du président de la Commission européenne. Le Conseil européen propose au Parlement européen, en tenant compte des résultats des élections européennes, un candidat que celui-ci élit. Lors des élections de 2014, le Parlement et les organisations pro-européennes ont souhaité interpréter le Traité d’une manière favorable au parlementarisme, et à la démocratie, et donc établir un lien direct entre l’élection au Parlement et la nomination du président de la Commission. Les partis politiques européens ont alors été incités à désigner, en amont des élections, leur candidat à la tête de la Commission. Lors de la campagne électorale, chacun des candidats s’est ainsi profilé comme étant le principal candidat d’une formation politique, d’où le terme Spitzenkandidaten, communément utilisé aujourd’hui pour désigner ce processus. Lors des négociations entre le Conseil européen et le Parlement, celui-ci a pu finalement, mais non sans mal, obtenir que Jean-Claude Juncker (PPE), dont le parti est arrivé en tête aux élections, soit élu à la présidence de la Commission.
Une proposition de réforme électorale controversée
Chargé de proposer une révision de l’Acte électoral de 1976, le Parlement a souhaité, à cette occasion, graver dans le marbre le processus des Spitzenkandidaten. Mais il a aussi, en séance plénière et contre l’avis de la Commission des Affaires constitutionnelles, adopté une résolution incluant la proposition de circonscription commune à tous les États membres, à laquelle le Conseil de l’Union européenne s’est toujours opposé. Ce dernier a ainsi ressenti la résolution du Parlement comme une provocation.
Fort de l’avis de son service juridique, le Conseil refuse aujourd’hui d’institutionnaliser le processus des Spitzenkandidaten, considérant qu’il ne peut y avoir de lien direct entre les élections au Parlement et le choix du président de la Commission, car en vertu des traités seul le Conseil européen a la prérogative de « proposer » un candidat. Celui-ci doit tenir compte des élections, mais n’y est pas lié pour autant.
S’ajoute à cela l’hostilité des parlements nationaux qui ont contesté la procédure adoptée par le Parlement européen pour leur transmettre le texte. Ceux-ci veulent examiner la proposition de loi sous l’angle du protocole 2 du Traité de Lisbonne, relatif au principe de subsidiarité, ce qu’ils sont en train de faire en réalité. Ainsi, nombre de parlements sont vent debout contre la réforme, en particulier à l’égard des dispositions obligeant les partis nationaux à donner de la visibilité aux partis européens, dans le matériel de campagne et sur les bulletins de vote. Le climat général est donc très défavorable.
Que peut-il se passer maintenant ?
Il est fort probable que l’Acte électoral révisé ne contiendra aucune référence à la présidence de la Commission. Dans ce cas, seules demeureront les dispositions du Traité de Lisbonne. Celles-ci ne font pas explicitement référence aux Spitzenkandidaten, mais elles ont rendu possible le processus en 2014. En sera-t-il de même en 2019 ?
Tout dépendra du climat politique au moment des élections. Bien sûr, aucune disposition légale ne pourra empêcher les partis politiques de désigner des candidats à la présidence de la Commission. Cependant, si l’avis juridique du Conseil entre définitivement dans les esprits, les États, contrariés par une telle insistance, pourraient être incités à en restreindre la visibilité. Par exemple en France par une stricte application de la loi relative aux élections européennes, qui stipule que « la propagande électorale est réservée aux listes en présence, ainsi qu’aux partis politiques français présentant ces listes ». Et au final le Conseil européen pourrait faire fi de cette forme de « proposition ». Ce serait ainsi contre-productif.
Il apparaît ainsi que seule l’adoption des propositions du Parlement relatives à la visibilité des partis politiques européens, et avec elle, implicitement, celle des Spitzenkandidaten, est susceptible de sauver le processus. Il y aurait ainsi une véritable personnalisation de la campagne. Couplée avec une meilleure compréhension des enjeux des élections, et sans doute une plus grande participation au scrutin, il y aurait là de quoi assurer une plus grande légitimité à la fois du Parlement et de la Commission. Le Conseil européen pourrait alors difficilement ignorer l’expression de la volonté populaire. Il est donc essentiel de faire pression pour l’adoption de ces dispositions, qui suffisent par elles-mêmes à établir de facto le processus, et même le renforcent, sans nécessairement l’institutionnaliser. Ceci dans l’attente de pouvoir traiter de cette question explicitement dans un cadre plus large à l’occasion des futurs travaux du Parlement européen sur les « évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’Union européenne » (rapport Verhofstadt à venir), en vue d’une future Convention.
Ne pas baisser les bras
Le Conseil de l’Union européenne devant statuer très prochainement sur la réforme électorale, issue du rapport Leinen, il faut lui dire : Vous ne voulez pas institutionnaliser le « précédent » de 2014, mais conserver la prérogative formelle de « proposer » un candidat pour la présidence de la Commission. Vous ne voulez pas d’une circonscription commune, mais conserver les circonscriptions nationales. En contrepartie, s’agissant d’élections européennes, vous devez accepter que les acteurs européens jouent le rôle qui leur revient légitimement.
Faisant le pari de cette issue favorable, il faut aussi soutenir les partis politiques dans leur intention de réitérer le processus de 2014, qui leur avait été alors en quelque sorte imposé, mais auquel ils adhèrent totalement aujourd’hui. Des réunions inter-partis au niveau européen ont déjà eu lieu cette année pour préparer les élections de 2019. Elles ont porté sur l’examen des possibilités de financement et des modalités de désignation des candidats au moyen de primaires afin de démocratiser le processus, un progrès par rapport à 2014. Les partis nationaux affiliés pourraient également organiser des primaires à l’échelon national, ce qu’envisage de faire par exemple le PS en France. Le processus est déjà en marche !
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