“La Commission d’enquête sur l’influence russe", quésaco ?
Entrée en vigueur le 31 mai dernier en Pologne, la loi créant une commission d’enquête sur l’influence russe entre 2007 et 2020 a été souhaitée par le gouvernement de droit radicale et ultra-nationaliste du PiS (Parti Droit et Justice). Cette loi a notamment été voulue par Mateusz Morawiecki, Premier ministre polonais. Elle vise les responsable politiques qui auraient agi “au détriment des intérêts de la République de Pologne” et en faveur de la Fédération de Russie.
La création d’une telle commission d’enquête n’a rien de fortuit. Les Polonais seront appelés dans quelques mois à renouveler leur parlement, la Diète, qui déterminera son gouvernement. Pour la première fois depuis 2015 et la prise de pouvoir du PiS, les sondages ne donnent pas la victoire au parti du gouvernement sortant. Pire pour le pouvoir en place, une opposition unie serait, selon les mêmes sondages, en mesure de former une coalition et ainsi de constituer une alternance gouvernementale. Or pour la députée européenne polonaise Roza Thun (Pologne 2050, Renew), la mise en place de la commission d’enquête “favorise les menteurs au pouvoir [en] choisissant les opposants au pouvoir”. En l’état, la composition de la commission serait choisie directement par des membres du PiS au pouvoir. Une dépendance au pouvoir politique qui fait craindre à l’ensemble de l’opposition et à la Commission européenne des élections d’automne “‘faussées” selon les mots du commissaire européen à la Justice Didier Reynders.
L’Union européenne au chevet de l’Etat de droit
Ce sont, en effet, des mots rassurants qui ont été employés par le commissaire. Ce dernier a joint sa voix à celles des oppositions et annoncé qu’une telle loi était un pas de plus “éloignant la Pologne de l’Etat de droit”. C’est pour cela que le commissaire a envoyé une demande de révision de la loi sur la commission d’enquête afin que “celle-ci soit plus indépendante”. Didier Reynders a également apporté son soutien à une “mission d’observation électorale de l’OSCE en Pologne”, mission demandée par l’ensemble des opposants.
La position du commissaire s’inscrit dans celle de plus longue haleine de la Commission européenne qui se veut ferme envers une Pologne de plus en plus illibérale. En effet, depuis l’arrivé au pouvoir du PiS en 2015 et sa volonté de faire main basse sur l’appareil judiciaire, la Commission européenne a cherché à défendre la séparation des pouvoirs. Il faut le dire, cet engageme n’a pas été suivi de résultats, faute de moyens. Mais depuis 2021 et un accord à l’unanimité des 27, les fonds européens sont conditionnés au respect de l’Etat de droit, selon les critères de la Cour de Justice de l’Union européenne. Une conditionnalité qui pousse le gouvernement polonais à infléchir ses positions quant à l’illibéralisation du pays…notamment sur ses projets de “commision d’enquête” et de réforme de la loi électorale.
Une répétition des élections polonaises d’automne
Mais plus qu’un énième débat sur l’Etat de droit en Pologne, c’est bel et bien une répétition de campagne électorale, en vue des élections polonaises d’automne, qui s’est tenue au sein de l’hémicycle strasbourgeois. Comme souvent, le Parlement européen s’est drapé dans les débats nationaux. La quasi totalité des eurodéputés polonais étaient présents : alors que les députés du PiS invectivaient la Commission et les oppositions, ces derniers dénonçaient “l’autoritarisme” du gouvernement.
Certains députés, comme l’eurodéputé polonais Marek Belka (Nowa Lewica (S&D), centre-gauche) a comparé les agissements du gouvernement au “Stalinisme”. Un mot fort aux allures de slogan de campagne. Le député social-démocrate continue son propos en dénonçant une loi permettant “l’impunité des gouvernants” et un “silence [complice] du Kremlin”. L’argument fait mouche parmi l’assemblée euro-polonaise, les oppositions applaudissent au-delà des clivages politiques traditionnels. Face à une opposition qui fait bloc dans l’hémicycle, Beata Szydło, membre du parti Droit et Justice (CRE, droite radicale), défend la loi électorale et la mise en place de la commission d’enquête. Elle dénonce la “diversion des oppositions”, avant d’enchaîner sur le “non-respect des traités européens [par les institutions européennes]”. L’eurodéputée poursuit en ciblant l’accord sur la politique d’accueil négocié par l’UE avec les États membres. Une attaque contre l’ordre juridique et politique européen qui peut s’identifier, quant à elle, comme une réelle diversion face à la remise en cause de la politique menée par le PiS par l’Union européenne. Le subterfuge est en effet bel et bien remarqué par les membres des oppositions polonaises siégeant à Strasbourg : incompréhension et cocasserie dominent ces derniers.
Les quelques eurodéputés non polonais qui se trouvaient dans l’hémicycle lors du débat ont profité de la parole qui leur était donnée pour avancer leurs positions politiques, essentiellement ancrées dans la politique nationale sans forcément de lien avec l’État de droit en Pologne. Le député grec de gauche radicale (Syriza) Konstantinos Arvanitis a ainsi fait référence au scandale des écoutes du gouvernement d’Athènes alors que le pays était en pleine campagne électorale. Quelques minutes plus tard, on pouvait entendre le député hongrois du Fidesz Balázs Hidvéghi dénonçant “les diktats et pressions de l’Occident et de Bruxelles”, alors que la Hongrie est empêtrée dans un bras de fer autour du gel des fonds européens par les institutions européennes et du respect de l’Etat de droit.
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