Surfer sur la “vague verte” ? Ce que les élections municipales disent de la vie politique française en 2020

, par Madelaine Pitt, Théo Boucart

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Surfer sur la “vague verte” ? Ce que les élections municipales disent de la vie politique française en 2020
Anne Hidalgo en 2018. Photo : Jacques Paquier

Plus de trois mois après la tenue du premier tour, le second tour des élections municipales en France a confirmé à la fois la bonne dynamique des Verts et l’échec de l’implantation locale du parti présidentiel, handicapé par l’impopularité d’Emmanuel Macron. A deux ans de l’élection présidentielle, le gouvernement va-t-il enfin amorcer un tournant vert tant attendu ? Quelles erreurs l’Elysée et Matignon doivent-ils éviter pour ne pas créer une nouvelle crise des Gilets Jaunes ? Théo Boucart du Taurillon et Madelaine Pitt de The New Federalist nous livrent leurs regards croisés.

Dimanche 28 juin, vers 19h30. Au Café Bâle, célèbre enseigne donnant sur la place d’Austerlitz à Strasbourg, des militants LREM et LR se retrouvent pour assister à la soirée électorale du second tour des élections municipales. Le suspense est à son comble dans la capitale alsacienne où une triangulaire entre l’écologiste Jeanne Barseghian, le macroniste Alain Fontanel, soutenu par le républicain Jean-Philippe Vetter, et la socialiste Catherine Trautmann, doit désigner celui ou celle qui dirigera la ville pendant les six prochaines années.

Après la fermeture des bureaux de vote et le dépouillement des bulletins, la surprise tombe : Barseghian l’emporte haut la main, avec plus de 40% des suffrages. Grosse déception pour le ticket Fontanel-Vetter, pourtant revigoré après leur alliance de dernière minute.

L’élection à Strasbourg a confirmé deux des principaux enseignements de cette élection que beaucoup de commentateurs ont jugé “bizarre” : le très bon score d’Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) et l’échec de La République en Marche (LREM), surtout quand celle-ci s’est alliée à la droite. Un second tour bizarre car marqué par un taux d’abstention record (en baisse de 20 points par rapport à 2014) et tenu plus de trois mois après le premier tour du 15 mars, alors que la pandémie de coronavirus avait poussé la plupart des gouvernements européens à introduire des mesures de confinement.

Derrière la vague verte, un océan tout bleu

Toujours est-il que les Verts semblent avoir confirmé leur bonne dynamique depuis les élections européennes et ont gagné plusieurs grandes métropoles. Strasbourg bien sûr, mais aussi Lyon et Bordeaux.

A Paris, Anne Hidalgo a été confortablement réélue grâce en partie au ralliement de David Belliard, le candidat écologiste. A Lille, Martine Aubry a bien failli perdre le fauteuil qu’elle détenait depuis 2001 face à son adversaire d’EELV. De plus en plus de citoyens veulent une politique urbaine plus apaisée et respectueuse de l’environnement, tout en sanctionnant une bonne partie de l’establishment politique, LREM en tête.

Pourtant, il semblerait qu’Emmanuel Macron n’ait pas vraiment pris en considération les bons résultats d’EELV pour son remaniement gouvernemental. Alors qu’Édouard Philippe, élu à la mairie du Havre, a présenté sa démission le 3 juillet, le Président a pris pour successeur Jean Castex, maire de la petite ville de Prades dans les Pyrénées orientales et précédemment missionné par Matignon pour organiser le très délicat déconfinement. L’ancien membre des Républicains, proche de Nicolas Sarkozy, devra assurer la réélection de Macron en 2022.

Ce choix de premier ministre n’est qu’un signe parmi d’autres que Élysée compte bien ne pas céder à la pression des urnes. Il faut dire que la vague verte est à relativiser dans bien des cas, puisque seulement dix villes de plus de 30000 habitants ont élu un maire écologistes en 2020, alors que la droite et le centre-droit en ont 110 (soit près du tiers du total des villes de cette taille-là en France). Une vaguelette verte dans un océan bleu donc.

A la recherche de la nouvelle offre politique

Ce scrutin municipal est le premier strictement national depuis la victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles, puis de son mouvement “En Marche”, devenu “La République en Marche” aux élections législatives, en mai et juin 2017.

A l’époque, le jeune ministre de l’économie démissionnaire de François Hollande incarnait une nouvelle offre politique, centriste, alors que les partis dits “traditionnels” présentaient aux élections des candidats venant d’ailes plus radicales, comme Benoît Hamon pour le parti socialiste ou François Fillon, récemment condamné par la justice, pour les Républicains.

Aujourd’hui, LREM est donc perçu par une large partie des Français comme un parti “classique”, plutôt de droite. Les Verts peuvent ils devenir cette force alternative, tournée vers les enjeux du futur, que souhaite un nombre croissant de Français ? Le prochain mandat municipal sera déterminant pour le savoir, en particulier les premières années, avec en ligne de mire la prochaine élection présidentielle.

Du côté de l’autre formation politique qui se veut alternative, le Rassemblement National, les municipales se sont soldées sur un résultat mitigé : alors que la formation de Marine Le Pen a réussi à gagner à Perpignan, première ville de plus de 100000 habitants depuis Toulon en 1996, le nombre de conseillers municipaux du RN a sensiblement baissé par rapport à 2014, passant de 1498 à 827 selon le quotidien Libération.

Divisions

Mais la principale leçon à retenir de ces derniers jours pourrait bien être celle-ci : le sentiment de division de l’électorat, et plus largement des citoyens, quant aux solutions à apporter pour lutter contre les crises économique et climatique.

La peur suscitée par la bonne performance des Verts en est un exemple probant, presque caricatural même, avec l’expression “Khmers verts”, utilisée par certains journalistes, ou encore la polémique déclenchée par le chroniqueur Eric Zemmour en comparant le vert de l’écologie “au vert de l’islam”, pour montrer le caractère extrémiste des deux philosophies (sic). Ces réactions plus ou moins rationnelles semblent révélatrices de la résistance, économiques et politiques, que les Verts rencontreront.

Cela ne veut toutefois pas dire non plus qu’EELVA aura raison quoiqu’ils entreprennent. L’un des principaux défis auxquels ils devront faire face dans les municipalités est de concilier protection de l’environnement et justice sociale, et ainsi éviter d’être qualifiés de “écolo-bobos”, aussi abjecte cette expression soit-elle.

Le bon score des Verts souligne également le fossé entre grandes villes plus enclines à voter écologistes, et régions plus rurales qui dépendent de moyens de locomotion plus polluants. La taxe carbone décidée en 2018 par le Président Macron a été, entre autres choses, le déclencheur de la révolte des Gilets Jaunes.

Le nouveau gouvernement de Jean Castex, avec Barbara Pompili au ministère de l’écologie, devra ainsi trouver des réponses à tous ces défis, sous peine d’une fragmentation sociale et territoriale.

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