Trilogie vaccinale, épisode 1 : Recherche vaccinale, mode d’emploi

, par Sophia Berrada

Trilogie vaccinale, épisode 1 : Recherche vaccinale, mode d'emploi
par focusonmore.com, licence CC BY 2.0

Depuis le début du mois de novembre, la météo scientifique est au beau fixe : il pleut des vaccins. Le 9 novembre dernier, le laboratoire étasunien Pfizer a annoncé avoir développé un vaccin efficace à 90% contre la Covid-19. Depuis, des annonces du même acabit se sont succédé : celui du russe RDIF-Gamaleïa le serait à 92%, celui de l’outre-atlantique Moderna à 94,5%, et celui des chercheurs d’Oxford à 70%. Entre-temps le vaccin Pfizer atteignait un score d’efficacité de 95%. Cette surenchère peut paraître curieuse, voire suspecte. Pourtant, bien qu’il y ait des raisons d’être prudent, comprendre les conditions dans lesquelles ces vaccins ont été conçus et testés permet d’être raisonnablement confiant en leurs intérêts.

On a pu l’entendre à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie : inventer un nouveau vaccin est une entreprise de longue haleine. Il a fallu 5 années pour mettre au point un vaccin contre le virus Ebola, 28 pour celui contre la grippe. A fortiori, c’est encore plus fastidieux quand le virus contre lequel on doit lutter vient d’apparaître et que ses propriétés sont inconnues. Il peut donc sembler contre-intuitif de penser qu’il s’agit du remède espéré pour mettre fin à la crise sanitaire du covid-19. Et pourtant ! Comment se saucissonne un essai clinique et comment se fait-il que des vaccins aient pu être mis au point en un an seulement ?

Développer un vaccin à vitesse grand V

Pour commencer, l’équipe de recherche dessine une sorte de plan de bataille selon un ordre très rigoureux et conventionnel. Première étape après avoir imaginé un vaccin : la “phase de recherche pré-clinique”. L’objectif : étudier la molécule candidate au poste de vaccin in vitro (sur des organismes en milieu artificiel, dans des boîtes de pétri par exemple) et sur des animaux. Cela permet de commencer à évaluer sa toxicité (sans parler d’empoisonnement à la Roméo et Juliette, il s’agit ici de répertorier les potentiels effets néfastes sur l’organisme) et son pouvoir immunogène (si oui ou non elle permet de créer une réaction immunitaire qui prodiguera à l’humain vacciné la mémoire immunitaire nécessaire pour se défendre comme un chef lors d’un potentiel contact avec, dans le cas qui nous intéresse, la covid-19).

Viennent ensuite les phases cliniques, entendez “chez l’humain”. La phase 1, au cours de laquelle la molécule est testée sur un groupe de 10 à 100 patients en bonne santé, permet d’évaluer la sécurité du traitement et son seuil de tolérance (la dose maximale que l’on peut injecter, et à partir de laquelle le vaccin n’est plus toléré par l’organisme). Les essais de phase 2 s’effectuent sur une cohorte de 50 à 500 individus cibles, c’est-à-dire sur des personnes à risque. Cela sert à définir quelle est la dose idéale à injecter pour avoir une bonne réaction immunitaire. Enfin, la désormais célèbre phase 3 étudie l’efficacité du candidat vaccin dans une cohorte de 1000 à 100 000 patients, représentative de la population. Pour savoir si un médicament est efficace, il faut le comparer à une substance neutre (qu’on appelle placebo). Certains patients reçoivent une dose de vaccin, d’autres reçoivent une dose de placebo. Comparer les réactions des uns et des autres permet de savoir si le vaccin est effectivement efficace. Dans les essais dits “en double aveugle”, dont les résultats sont les plus authentiques, ni le médecin ni le patient ne sait ce que contient la seringue. Cela permet de réduire l’influence que pourrait avoir la connaissance de cette information sur la réaction du corps à la molécule.

Une fois que toutes ces étapes sont franchies avec des résultats satisfaisants, un dossier peut être déposé auprès des autorités sanitaires (en France, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, en Europe, l’Agence européenne du médicament). Celles-ci décideront d’accorder, ou non, une autorisation de mise sur le marché au nouveau vaccin.

Si cette année, les phases ont pu s’enchaîner en un temps record, c’est parce que l’urgence de répondre à la pandémie a permis un alignement des planètes scientifiques. Les chercheurs du monde entier ont concentré leurs efforts pour percer les secrets du covid-19. Ce qu’on appelle dans le jargon “la littérature scientifique” (l’ensemble des connaissances issues de la recherche décrites dans des articles) sur la covid-19 a crû avec une célérité inédite, permettant aux équipes de mettre au point des protocoles de recherche au grand galop. 63 jours seulement après le décryptage entier du matériel génétique du Covid-19, un premier vaccin, en phase 1, était injecté dans le bras d’un humain. Incontestablement, le dossier coronavirus est du genre prioritaire, et les autorités de santé ont pu très rapidement débloquer les autorisations nécessaires aux laboratoires, dans le respect des règles de sécurité sanitaire. Enfin, les équipes ayant commencé leurs travaux de concert, il n’est finalement pas si surprenant de les voir avancer en rythme et rendre leur copie pratiquement à l’unisson.

Des techniques innovantes

Les stratégies mises en place par les différents laboratoires offrent un aperçu assez complet de ce qu’il est possible de faire en vaccinologie. Certains ont opté pour des techniques classiques, bien connues de la Science. C’est le cas des chercheurs d’Oxford-AstraZeneca, de Sanofi-Pasteur et de RDIF-Gamaleïa, qui ont conçu un vaccin à vecteur viral (en greffant à un virus atténué déjà connu, comme celui de la rougeole, du matériel génétique qui permettra aux cellules opportunes du vacciné de produire des protéines de la Covid-19). Cette technique permet de déclencher une réponse immunitaire complète, mais elle présente le désavantage d’être coûteuse et complexe à produire.

Les laboratoires chinois Sinovac et Sinopharm ont privilégié des vaccins à virus inactivés, une technique éprouvée, mais la plus susceptible de susciter des réactions immunitaires potentiellement inattendues (toutes proportions gardées). La startup Codagenix a, quant à elle, travaillé sur des vaccins à virus atténué (méthode dite “à l’ancienne” puisque le premier vaccin jamais développé, celui contre la variole du britannique Edward Jenner en était un de la sorte). Cette technique produit, en général, une excellente réaction immunitaire, mais peut aussi occasionner des effets indésirables notamment chez les personnes immunodéprimées.

D’autres laboratoires, enfin, ont pris le parti de l’innovation et ont produit des vaccins à ARNm (pour “messager”). C’est le cas des laboratoires Moderna et Pfizer/BioNTech, qui ont ainsi mis au point une technique rapide, peu coûteuse et à l’efficacité accrue. Notons toutefois que la nouveauté de cette technologie ne permet pas encore d’avoir du recul sur ses effets à long terme, et que ces vaccins font preuve d’instabilité thermique (elles se modifient si elles ne sont pas conservées à très basse température, c’est pour cela que l’on a entendu que le vaccin Pfizer/BioNTech devait être conservé à -70°c et celui de Moderna à -20°c).

Les contours flous du pourcentage d’efficacité

Dans la feuille de route rédigée par l’OMS, l’objectif annoncé était de trouver un vaccin efficace à au moins 50%. Les résultats communiqués par les laboratoires semblent donc miraculeux, puisqu’ils avoisinent ceux du vaccin contre la rougeole, le plus efficace à ce jour (95%). Pourquoi, toutefois, la publication des pourcentages d’efficacité donne-t-elle l’impression d’un combat de coqs ?

Si ces résultats sont très encourageants, il faut les analyser avec prudence. Ils ont été récoltés dans un délai très court après les injections de candidats vaccins. Nous avons donc une idée de son efficacité à court terme, dans les semaines qui suivent la vaccination, mais pas encore de celle à moyen et à long terme. Les mois à venir nous apporteront plus de recul sur ces données et risquent d’abaisser les taux d’efficacité.

Il est, par ailleurs, impossible de comparer ces pourcentages, car les études cliniques n’ont pas assez de paramètres en commun. Par exemple, elles n’ont pas utilisé les mêmes placebos, les populations vaccinées ne sont pas les mêmes et la façon de compter les cas positifs au coronavirus après la vaccination diffère (certains ne comptant que les cas symptomatiques). Ces différences de taille rendent toutes tentatives de dire que tel vaccin est plus efficace qu’un autre, vaines.

Floraison des communiqués de presse dans l’attente des articles scientifiques

Habituellement, lorsqu’une étude de recherche scientifique est menée, les résultats sont transmis sous la forme d’un article à des comités d’experts. Ceux-ci le lisent et déterminent s’il répond à toutes les exigences d’impartialité, d’éthique et de rigueur scientifique. Si c’est le cas, l’étude peut être publiée dans des revues que l’on dit “à haut facteur d’impact” (comme Nature, ou le New England Journal of Medicine), dont le niveau de preuve est très important. C’est un processus long, et l’urgence de la crise sanitaire a dicté l’apparition d’un phénomène notoire : la prolifération des communiqués de presse. Ceux-ci sont rédigés par les laboratoires de recherche eux-mêmes et n’ont pas encore été commentés par d’autres chercheurs. Bien que les données transmises ont été analysées par des instances de suivi indépendantes des promoteurs de l’étude, on ne peut pas encore parler de consensus scientifique. Ces communiqués doivent donc être lus avec précaution. Moderna, par exemple, a fourni des détails sur les effets de son vaccin sur les formes sévères de Covid-19, et sur les potentiels effets secondaires modérés suscités (répertoriés chez ⅓ des vaccinés de l’étude), données plus floues dans les communiqués de Pfizer/BioNTech.

Le travail mental d’équilibriste réside pourtant dans l’alliance de cette nécessaire précaution à la conscience de l’importance de ces données préalables pour se projeter dans l’avenir et organiser la suite de la lutte contre la covid-19. Les différents laboratoires ont déposé des demandes d’autorisation d’urgence de mise sur le marché aux différentes instances nationales et supranationales de santé. L’agence européenne du médicament devrait rendre ses prochains avis mi-décembre. La vaccination constitue désormais l’un des principaux leviers de la stratégie européenne pour affronter la pandémie. Le deuxième épisode de notre trilogie vaccinale en analysera les tenants et aboutissants.

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