Trilogie vaccinale, épisode 2 : Les tenants et aboutissants de la stratégie européenne

, par Sophia Berrada

Trilogie vaccinale, épisode 2 : Les tenants et aboutissants de la stratégie européenne
Stélla Kyriakídes, commissaire européenne à la Santé, et Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne Source : EC - Audiovisual Service

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé le 24 novembre dernier, avoir signé un contrat avec le laboratoire Moderna pour commander 160 millions de doses de son vaccin contre la covid-19. Cet accord est le 6ème paraphé par la cheffe de l’exécutif européen depuis cet été, et porte le nombre total de doses de vaccin réservées à 1,895 milliard. L’Agence européenne des médicaments, l’instance qui accordera (ou non) aux différents laboratoires une autorisation d’urgence de mise sur le marché européen, table sur un possible démarrage des campagnes de vaccination début 2021. Comment, et par qui sont menées les négociations de ces contrats avec les laboratoires ? De quelle façon l’Union européenne et ses États membres entendent-ils organiser les étapes de production, de distribution, et de vaccination des citoyens européens ?

Depuis le début de la pandémie due à la covid-19, l’Union européenne comptabilise plus de 300 000 morts et bientôt 15 millions de cas positifs confirmés. Après une première vague face à laquelle les Etats membres ont agi de façon unie sur les plans économique (assouplissement des règles de déficit, construction d’un plan de relance... ) et social (aide à l’indemnisation du chômage partiel), l’adjectif “dispersé” conviendrait mieux à leurs politiques de santé publique. Dans l’entre-deux vagues, la Commission a donc entrepris de coordonner l’approche sanitaire des 27, en matière de recherche notamment. Le 17 juin, l’exécutif européen a présenté une stratégie globale de politique vaccinale et a débloqué, à ce titre, une partie de l’enveloppe de l’instrument d’aide d’urgence européen. C’est dans le cadre de cette stratégie que la Commission s’est portée volontaire pour négocier au nom des 27 avec les industries pharmaceutiques les conditions d’accès aux futurs vaccins.

Pourparleurs et pourparlers

Pour l’aider à négocier ces contrats, la Commission a mis en place un comité de pilotage, composé de représentants de tous les pays membres. Il “a pour mission de l’assister en lui apportant conseils et expertise tout au long du processus” et de “proposer une équipe conjointe de négociation qui doit l’épauler lors des négociations”. L’identité des membres de cette équipe est inconnue “pour qu’ils ne soient pas harcelés par les lobbys, indique la Commission. Depuis cet été, l’Union européenne a ainsi signé des accords d’achats anticipés auprès du laboratoire britannico-suédois AstraZeneca, de l’alliance franco-britannique Sanofi-GSK, de Johnson&Johnson (sa filiale belge, Janssen Pharmaceutica), de l’alliance germano-étasunienne Pfizer-BioNTech, de l’allemand CureVac et depuis le 24 novembre avec l’américain Moderna. Des pourparlers sont en cours avec l’entreprise étasunienne NovaVac.

Les critères que la Commission a fixés pour guider leurs négociations avec les laboratoires de recherche sont la rigueur de l’approche scientifique, la possible rapidité pour fournir le vaccin à grande échelle, son coût et enfin ses possibilités de production et de distribution sur le territoire européen. Si à ces égards, les projets de recherche suffisamment avancés se montrent satisfaisants, l’Union européenne participe à leurs financements en l’échange de l’engagement d’être fournie en priorité lorsqu’ils seront commercialisés.

Les Etats membres se sont engagés à ne pas interférer avec les négociations menées par la Commission. Ils sont toutefois autorisés à signer des contrats avec d’autres fabricants que ceux en pourparlers avec l’exécutif européen. La France, l’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne ont formé une Alliance européenne pour le vaccin contre la Covid-19, qui se veut complémentaire au travail de la Commission européenne et ouverte aux autres pays membres. Grâce à cette alliance, les quatre pays veulent investir dans des projets de recherche variés pour assurer la production de vaccins en Europe, et leur garantir “un prix juste”. Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat à l’industrie, est à la tête de la task force française au sein de ce quatuor, et affirmait au Figaro que les Européens pourraient bénéficier “de meilleurs prix que les Américains parce que nous avons su négocier en groupe”.

L’opacité des contrats signés agace les parlementaires européens

Le Parlement européen se préoccupe du manque de transparence fait par la Commission sur les contrats signés avec les laboratoires pharmaceutiques. Le 2 octobre dernier, Pascal Canfin, président de la Commission Environnement et Santé du Parlement, attirait l’attention de la commissaire européenne à la santé, Stélla Kyriakídou, sur la nécessité d’en dévoiler des informations capitales. L’eurodéputé réclame l’éclairage de quatre éléments en particulier : les prix, le lieu de production des vaccins, le régime de leur propriété intellectuelle et celui de responsabilité. En effet, en cas d’effets secondaires, à qui incomberait la responsabilité : aux Etats membres ou aux industries pharmaceutiques ? Dans quelle mesure la production des vaccins sur le sol européen aura-t-elle un impact positif en termes d’emplois et de croissance ? Les réponses à ces questions restent encore floues.

Les eurodéputés, auxquels se joignent Olivier Véran, ministre de la Santé, et Agnès Pannier-Runacher, estiment que la connaissance de ces éléments est indispensable à la confiance des citoyens européens et à la réussite des campagnes de vaccination. « On est face à des théories du complot, des mensonges, et moi, vis-à-vis de ça, je suis démuni, avoue Pascal Canfin. Je n’ai aucun point d’appui pour expliquer que ce qu’ils disent est faux. ». La Commission répète suivre scrupuleusement les règles européennes en matière de sécurité sanitaire, et promet qu’en cas de défaut d’un vaccin il incombera aux laboratoires d’indemniser les malades, mais des doutes subsistent quant à d’éventuelles clauses d’exceptions. Elle promet aussi qu’au moment où les candidats vaccins obtiendront de la part de l’Agence européenne des médicaments, toutes les données scientifiques et cliniques sur les essais seront publiées, là où nous n’avons accès qu’aux communiqués de presse diffusées par les laboratoires.

La production et la distribution des vaccins : de périlleuses gageures

« Les États membres recevront tous des vaccins en même temps et dans les mêmes conditions, en fonction de l’importance de leur population par rapport à la population totale de l’Union » annonçait Ursula von der Leyen a l’issue du Conseil européen du 29 octobre. Pas de jaloux, donc ! La même stratégie de répartition sera adoptée pour tout le matériel médical nécessaire (gants, seringues, masques), acheté selon la technique dite “de la commande groupée” via un appel d’offre.

Une fois les vaccins répartis entre les 27 Etats membres, ceux-ci prennent la main sur la façon de les distribuer sur leur territoire. Certains des candidats vaccins nécessitent d’être acheminés à très basse température. Celui de Pfizer/BioNTech, en particulier, doit rester à une température constante de -70°c. Des congélateurs de cette nature sont une denrée rare dans les pharmacies et les cabinets de médecin, c’est pourquoi le duo de laboratoires a conçu des conteneurs thermiques particuliers utilisant de la carboglace (du dioxyde de carbone sous forme solide qui en passant l’état gazeux permet de refroidir des corps à basse température) et permettant un stockage temporaire pendant 15 jours. L’achat de ces dispositifs est à la charge des Etats. Le concurrent Moderna peut être conservé dans des laboratoires standards à -20°c, et les vaccins traditionnels dans des conditions encore plus simples entre 2°c et 8°c.

Les Etats décideront quelles populations pourront accéder au vaccin en priorité et la façon de mener leurs campagnes. Dans la plupart d’entre eux, c’est la même tactique qui semble être privilégiée : les personnes à risque et les professionnels de santé d’abord. Chacun commence à s’organiser : en Allemagne, des centaines de centres de vaccination commencent à germer. En Espagne et en Belgique, le vaccin sera gratuit. Dans ces deux pays, comme en France, le vaccin ne sera pas obligatoire mais reposera sur le volontariat.

La conscience d’une nécessaire approche multilatérale

L’approche multilatérale de la vaccination est ardemment défendue par l’Union européenne comme étant un élément clé de la lutte contre la pandémie de Sars-CoV-2. Avec les quelque 1,9 milliards de doses commandées pour ses 450 millions d’habitants l’Union européenne et les autres pays occidentaux dominent très largement les pré-commandes, bien qu’elle soit membre de l’initative Covax initée par l’OMS destinée à garantir l’égalité d’accès aux vaccins dans le monde. D’autres pays comme la Russie ou les Etats-Unis n’en sont pas membres et font preuve d’une attitude nationaliste dans leur politique sanitaire, contrairement à la Chine qui espère se servir des vaccins créés en son sein pour se racheter une réputation aux yeux du monde. L’épopée mondiale vaccinale se révèle être le théâtre de nouveaux enjeux géopolitiques que nous analyserons dans le dernier article de notre trilogie.

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