La Turquie, « nouvelle poubelle de l’Europe » selon le journal Le Monde, a augmenté de près de 1200% ses importations de déchets plastiques entre 2016 et 2020. Chaque année, le pays récupère plus de 450’000 tonnes de débris en provenance de l’Union Européenne (UE), un chiffre en constante augmentation. Si l’Europe externalise aujourd’hui près de la moitié de ses détritus plastiques en Turquie, c’est d’abord parce que depuis 2018, la Chine a interdit l’importation d’ordures étrangères.
Ensuite, depuis 2004, l’UE a augmenté de près de 75% ses exportations de déchets de tout type vers des pays non-membres de l’UE — soit près de 32,7 millions de tonnes de détritus par an — dont 13,7 millions de tonnes en direction de la Turquie. À plusieurs reprises, L’ONG Human Rights Watch (HRW) a averti des conséquences néfastes sur l’environnement et la santé que comportait la transformation des déchets plastiques en Anatolie.
Adana, « capitale » du recyclage du plastique
Selon le ministère turc de l’environnement, on trouve plus de 1800 installations de recyclage dans le pays. Adana, ville du sud d’environ 2 millions d’habitants, est devenue le nouveau centre névralgique du recyclage du plastique. Elle se trouve aux abords du port méditerranéen de Mersin, là où débarquent près de la moitié des importations de ce type de déchets.
Avant l’essor du secteur, les alentours de la zone industrielle d’Adana se résumaient surtout à des champs de légumes. Aujourd’hui, les usines de recyclage se sont accaparé le terrain, un phénomène qui n’est pas près de s’estomper dans les années à venir : la Turquie souffre encore de moyens insuffisants pour traiter ses propres déchets, le prix du pétrole a rendu la réutilisation des matériaux recyclés plus rentable pour les producteurs de plastique, et l’UE a l’ambition de parvenir à recycler 65% de ses ordures ménagères d’ici 2035. Pour le pays, le recyclage des restes européennes représente une manne financière qu’il ne saurait laisser filer entre ses doigts.
Réfugiés et environnement : des victimes collatérales
Pour obtenir un coût de production plus faible, les entreprises de recyclage recourent à la main-d’œuvre immigrée. Sur les 4 millions de réfugiés présents en Turquie, 3,6 millions sont Syriens. D’après Amnesty Turquie, seul 1% d’entre eux parviennent à obtenir un permis de travail, les autres travaillent au noir. Si certains bénéficient du salaire minimum en Turquie, d’autres comme Ali, interrogé par Amnesty International, ne survivent qu’avec cinq euros par jour, à peine suffisant pour se nourrir.
D’après lui, ses anciens collègues étaient presque tous des enfants, « Ils avaient onze ou douze ans, venaient pour quelques jours puis on ne les voyait plus ». Selon lui, la plupart des gens ne restent que quelques jours : « Ils ne supportent pas la puanteur. Elle abîme les poumons ».
En effet, le processus de recyclage est très polluant : les déchets sont dans un premier temps broyés, puis lavés, fondus à haute température et finalement transformés en granulés. Ce procédé émet de nombreuses substances toxiques qui s’infiltrent dans les voies respiratoires des employés, a fortiori car de nombreuses entreprises ne leur proposent aucun système de protection. HRW a fait état d’installations sans fenêtres ni systèmes de ventilation, dans lesquelles une épaisse fumée emplit tout l’espace et enduit le sol d’une poussière noire et huileuse. Ahmet témoigne : « Lorsque je l’inhalais, j’avais l’impression que mes poumons étaient comprimés et sous pression ». Aujourd’hui, alors qu’il a quitté son poste depuis plusieurs mois, il souffre encore de problèmes respiratoires.
À court terme, les problèmes pulmonaires sont les symptômes les plus courants. Mais selon la littérature scientifique, une exposition chronique à ces substances peut augmenter le risque de cancer et de troubles neurologiques, en plus de dérégler le système reproducteur.
Les résidus non exploitables finissent soit brûlés dans le canal de la zone industrielle, soit dans des décharges à ciel ouvert le long des routes, selon des reporters de l’AFP. Les emballages trahissent la provenance des déchets : des boîtes de nourriture pour chien britanniques côtoient des résidus plastiques du géant du surgelé Picard, tandis que des bouteilles d’eau minérale suédoise s’entassent sur le côté de la route. D’après Ismail, ex-employé d’une entreprise de traitement, cette catastrophe environnementale tient dans le fait que les patrons d’usine ne souhaitent pas payer le service des ordures.
Un problème de transparence, de juridiction, et de consommation
L’OCDE a prévenu que si rien n’était fait, la production de plastique serait multipliée par trois d’ici 2060 ; de quoi pérenniser le secteur en Turquie. Alors que le pays se veut aujourd’hui exemplaire en matière de tri des déchets, l’ONG Greenpeace dénonce le manque « de transparence et de supervision » du secteur du recyclage. Le ministère turc de l’environnement a assuré avoir opéré des milliers d’inspections et d’avoir fermé une vingtaine d’installations non conformes à Adana, et a démenti les accusations de laxisme. Du côté de l’Union européenne, on met volontiers l’accent sur les changements qui opéreront dans un futur indéterminé, plutôt que sur les faiblesses des législations en vigueur. Plusieurs projets sont en cours, et de nouvelles dispositions plus strictes devraient voir le jour : les déchets ne seraient exportables que s’il existe une garantie que « le pays de destination a mis en place des pratiques de gestion respectueuses de l’environnement », selon le site officiel du Conseil européen. En attendant, l’UE continue de déverser en masse ses détritus en Turquie.
Pour Sedat Gündogdu, chercheur à l’Université Cukurova à Adana, la solution serait d’abandonner la « fausse » bonne idée du recyclage et de concentrer les efforts sur la réduction de l’utilisation du plastique. Alors que l’Europe connaît l’essor des achats en ligne et une généralisation de l’utilisation du plastique à tous les niveaux, il n’y a par conséquent, pour le moment, aucun signe annonciateur d’une réduction notable de sa consommation.
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