UEtopie 2036 : Aux élections européennes, la liste Sobriété.s veut réduire l’empreinte environnementale du numérique de l’Europe

A quoi pourrait ressembler l’UE dans 15 ans ? Un article de la série « UEtopie 2036 »

, par Gabrielle Heyvaert

UEtopie 2036 : Aux élections européennes, la liste Sobriété.s veut réduire l'empreinte environnementale du numérique de l'Europe
Crédit : Pixabay

C’est une grande première pour l’Union européenne élargie à 33 Etats membres : depuis le traité de Zagreb en 2031 qui a allongé de deux ans la législature du Parlement européen, les citoyens sont appelés à voter pour une liste transnationale le 15 juin prochain. Autrement dit, choisir une liste composée de candidats de nationalités différentes, désignés par les partis politiques européens. Le 27 avril dernier, les deux premiers candidats de la liste transnationale Sobriétés ont échangé sur le thème du numérique, à l’occasion d’un meeting de campagne à Lyon. Devant une salle comble, ils ont appelé à un usage de la technologie beaucoup plus raisonné.

C’est un meeting de campagne électorale comme on n’en fait plus. Une estrade, deux intervenants de chair et de sang, un public survolté. Le format se veut en rupture avec les listes concurrentes, adeptes des meetings en simultané grâce aux hologrammes. Pendant près de deux heures, les candidats français et polonais de la liste transnationale Sobriétés ont échangé sur l’empreinte environnementale du numérique et le discernement technologique, aussi nommé techno-discernement, l’un des leitmotivs du parti européen éponyme. Synthèse des échanges.

L’Ère des données

En rupture avec les mouvements néo-luddistes et décroissants technophobes, les deux têtes de liste ont salué le travail entrepris par les mandatures précédentes. La stratégie Une Europe adaptée à l’ère du numérique (A Europe fit for the Digital Age) lancée par la Commission Von der Leyen (2019 – 2024) et poursuivie par la Commission Vestager I et II (2024 – 2036) a donné les moyens à l’Union européenne de rattraper, en partie, son retard technologique face aux États-Unis et à la Chine. Il en a résulté l’avènement de l’Ère des données, grâce, notamment, à l’achèvement du marché unique numérique, la relocalisation de secteurs industriels, l’essor des clouds européens, ainsi que le déploiement de la 6G.

Brandissant un antique smartphone d’une marque aujourd’hui bannie en Europe, la candidate polonaise a rappelé qu’à l’origine, les données provenaient majoritairement de ce type d’appareil électronique. Quinze ans plus tard, les données sont générées par une grande variété d’objets connectés, avec une conséquence non négligeable pour le système économique. La valeur des choses s’est en effet déplacée : elle ne réside plus dans le produit physique en tant que tel, mais également dans les données générées par les utilisateurs et par les industriels. Les entreprises capables de les extraire, de les analyser et de les exploiter possèdent un avantage compétitif décisif, ce qui explique la vitalité des secteurs européens qui ont su s’adapter, comme celui du biomédical et manufacturier.

Une ère insoutenable

Pour les deux candidats, impossible pourtant d’oublier le coût de cette transition numérique. Dans une volonté rhétorique, la tête de liste française a demandé aux participants s’ils se souvenaient de l’Accord de Paris de 2015, dont l’objectif était de limiter le réchauffement planétaire de 1,5 à 2°C d’ici la fin du siècle. Or, la transition numérique n’a fait qu’aller à l’encontre des objectifs de découplage énergétique et climatique du PIB fixés par cet accord international. Alors que doit avoir lieu la COP41 à la fin de l’année, le bilan carbone mondial du numérique ne cesse de s’alourdir. Si en 2018, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre représentait 3,7 % du total des émissions mondiales, elle s’élève actuellement à 13%. La consommation d’énergie mondiale connaît quant à elle une croissance annuelle de 12% et le gouffre apparaît sans limites. Chaque activité en ligne, même infime, génère une dépense d’énergie, induite par la circulation des données via les serveurs et les data centers.

Les gains énergétiques liés au progrès technologique ne permettent pas de compenser l’activité quasi-permanente des quelques dizaines de milliards d’objets connectés. En effet, ces derniers entraînent chacun une consommation supplémentaire en échangeant les uns avec les autres, sans parler de la démocratisation de l’usage des hologrammes et de la réalité virtuelle. Le coût de l’énergie grise d’un objet connecté, c’est-à-dire l’énergie pour le produire, est de loin supérieure à son énergie d’usage. Ainsi, on calcule à 90% environ la part de l’énergie consommée par et pour une voiture autonome dotée d’une intelligence artificielle (IA) basique, avant même sa première utilisation. Les métaux rares, nécessaires à la fabrication de nombreux composants électroniques, ont également une empreinte écologique considérable hors des frontières de l’Europe : leur extraction et leur raffinage requièrent en effet des procédés polluants, énergivores et nécessitant une grande quantité d’eau. Beaucoup de régions en sont devenues inhabitables ; c’est par exemple le cas en Argentine, en Inde, et également au sein de nations ennemies à l’UE.

Sobriété numérique : quel plan d’action pour l’Union européenne ?

Devant un auditoire attentif, les candidats ont rappelé que la sobriété numérique, thème phare de leur campagne, n’était en aucun cas « un retour à la bougie » ou la condamnation aveugle de toute technologie. Le plan d’action de l’UE s’articule autour du principe du discernement technologique, avec pour corollaire la sobriété de conception. Si l’utilisation de high tech (hautes technologies) énergivores devrait être restreint uniformément au sein des 33 États membres, il n’est pas question de les abolir pour des usages hautement stratégiques, tels que la défense européenne ou bien le domaine du biomédical.

Pour la plupart des autres secteurs, il devient au contraire urgent de mettre en place une politique de sobriété de conception à l’échelle européenne. Dans cette perspective, la tête de liste polonaise a présenté les grandes lignes d’un plan de soutien au développement d’une filière industrielle de low-tech, soit des technologies durables, facilement réparables et recyclables, dont la conception n’a pas requis une grande quantité de ressources rares ou d’énergie. Enfin, les candidats ont souligné que la sobriété numérique implique un engagement actif de la part des citoyens européens eux-mêmes. Ils devront en effet faire preuve de techno-discernement à leur propre échelle. Un exercice difficile quand on voit à quel point des pans entiers de la société sont désormais dépendants dans l’infrastructure numérique globale.

Autant de mesures qui ancrent l’opposition de Sobriétés à la recherche d’une croissante high tech verte. Au cours de cette campagne électorale, marquée par un hiver puis un printemps caniculaires, de nouveaux clivages politiques sont apparus nettement. Ceux-ci se structurent autour du progrès technologique, du désengagement européen de l’indo-cyberconflit et de la poursuite du processus de fédéralisation. Selon les derniers sondages, Sobriétés se positionnerait en alternative politique crédible, en troisième position après les listes Green Europe™ et PPӦ. Verdict le 15 juin 2036.

Les contributions présentées dans cette série relèvent de l’imagination des rédacteurs et rédactrices. Elles ne sauraient représenter un travail scientifique de prospective.

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