Parler au quotidien d’Union européenne et couvrir l’actualité du continent sans se borner à un angle national dans le traitement de l’information est souvent un combat. C’est celui que mène Euronews depuis le 1er janvier 1993. Mais exactement trente ans plus tard, l’institution tangue plus que la Tour de Pise.
Contraint par des résultats financiers difficiles, un plan de restructuration profond du média a été annoncé en ce mois de mars 2023. La sentence, actée par la direction du groupe, est terrible pour le siège historique situé à Lyon. Les locaux, un bâtiment vert difficile à rater dans le quartier Confluence, vont être vendus et d’autre part, les employés seront « 154 sur 171 à perdre leur poste, soit 90% des effectifs de la rédaction ». En tout, ce sont même 198 employés du média qui vont perdre leur place.
Un nombre conséquent et dramatique alors que l’Union européenne tente de défendre la liberté de la presse et de promouvoir la pluralité des médias.
« Un jour terrible »
La chaîne avait été lancée dans le but de concurrencer le colosse américain CNN, qui avait couvert la guerre du Golfe au début des années 1990 avec des moyens techniques importants. Dix groupes audiovisuels publics européens sont à l’origine d’Euronews.
Depuis décembre 2021, elle est détenue à 88% par le fond d’investissement portugais Alpac Capital, qui ne possédait pas d’autres médias avant Euronews, et qui a racheté des parts détenues depuis des années par l’homme d’affaires égyptien Naguib Sawiris.
Actuellement, Euronews accuse 150 millions d’euros de pertes sur la décennie écoulée. Au cours d’un comité social et économique le 2 mars, le directeur général de la chaîne européenne, Guillaume Dubois, a annoncé un nouveau plan social.
Euronews ambitionne d’être un « média européen pour les Européens ». Cette restructuration n’est donc pas complètement une surprise pour les employés, qui étaient méfiants depuis le changement d’actionnaire. Le bruit d’une mise en vente des locaux s’était déjà fait entendre. Comme le rapporte le journaliste Antoine Cariou, une grève avait été déclarée en février 2023.
Malgré tout, le coup reste très rude à accuser. Une cellule psychologique a été mise en place au sein d’Euronews.
« C’est un jour terrible, nous avons l’impression que le rêve d’une chaîne européenne vole définitivement en éclats », se désespérait un employé, dans des propos rapportés par le journaliste Richard Schittly pour Le Monde.
Monteurs, journalistes, cadreurs, tous les postes de production lyonnais sont supprimés. Pour l’instant, le siège social reste à Lyon, mais à l’avenir le nouveau centre de production sera basé à Bruxelles et des bureaux vont être créés à Rome, Berlin, Lisbonne, Madrid et Londres.
Une lettre ouverte à la Commission
Sur le site web de LyonMag, le chroniqueur Romain Blachier ne cache pas sa déception. Euronews dispose de peu de soutien et le démantèlement du siège lyonnais se produit dans “une indifférence” généralisée.
En revanche, le Syndicat national des journalistes (SNJ) dénonce dans un communiqué le « projet de démantèlement » de la chaîne et « un plan qui risque d’aboutir à la fin d’un projet original et ambitieux, [en portant] un coup sévère au pluralisme, et en affaiblissant l’offre du traitement de l’information internationale ».
La seule réaction politique à signaler pour l’instant vient du Parlement européen. 25 députés de partis divers (S&D, PPE, Renaissance Europe, Verts/ALE) ont demandé par courrier à la Commission « si cette dernière a été prévenue de ces mouvements, et si elle a reçu des garanties sur le maintien des objectifs contractualisés ».
Ce courrier rappelle également que la chaîne d’information a reçu 14,6 millions d’euros en 2022 dans le cadre d’une convention la liant à l’Union européenne. Il est adressé aux commissaires européens Johannes Hahn (Budget et administration) et Thierry Breton (Marché intérieur).
Ce texte montre que leur inquiétude est à la fois portée sur le sort des employés qui subissent la menace d’une perte d’emploi, mais aussi sur “la couverture des activités européennes et sa propagation en 12 langues”.
L’idée d’Euronews était jusqu’ici de regrouper des journalistes d’horizons divers et de nationalités différentes dans un lieu principal. Lyon avait devancé Munich, Bologne et Valence lors de la prise de décision à la création de la chaîne. La nouvelle stratégie vise à diversifier les lieux de production d’information tout en conservant un centre, à Bruxelles cette fois.
Au-delà des tragiques suppressions de postes, le changement est aussi profond pour l’identité d’Euronews, dont les contenus sont vus par 145 millions de personnes chaque mois. Avoir des bureaux principaux à Bruxelles présente des avantages certains dont celui d’être au plus proche des lieux de décisions européens. Pour le député européen Harald Vilimsky (Identité et démocratie), qui relaye un article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, ce déménagement s’explique aussi par “des subventions européennes” plus faciles à trouver dans la capitale belge.
Mais Euronews pourra-t-elle encore produire tous ses contenus dans une douzaine de langues différentes malgré la réduction drastique de ses effectifs ?
Le média risque en tout cas de perdre une partie de son identité en se lançant dans ce nouveau projet et en voyant le restant de son équipe rédactionnelle disséminée dans plusieurs lieux.
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