Une simple histoire de symboles ?

, par Alexandre Godonaise

Une simple histoire de symboles ?
(Source : Wikipedia Commons)

TRIBUNE. Ce 1er janvier 2022 s’est accompagné de la première polémique de l’année. A l’occasion de la présidence française de l’UE, le drapeau européen a remplacé sous l’Arc de Triomphe le drapeau tricolore. Une levée de bouclier de la plupart des opposants plus tard, celui-ci a été retiré dès le 2 janvier. L’auteur livre sa réflexion personnelle sur cet événement.

Fallait-il remplacer le drapeau de la République française par le drapeau de l’Union européenne ? C’est en tous cas ce qu’a cru bon de faire l’exécutif ce samedi 1er janvier 2022. Le geste symbolique marquait, selon toute évidence, le début de la présidence française de l’UE, qui n’advient qu’une fois tous les 13 ans et demi, et qui permettra à la France d’orienter le travail de l’UE sur les sujets choisis par le Président de la République. D’autres monuments français (l’Elysée, la Tour Eiffel) ont d’ailleurs également été parés de bleu et des 12 étoiles dorées dès le soir du 31 décembre.

Dans la République française, l’usage veut qu’habituellement cohabitent le drapeau national, ainsi que le drapeau européen. En affichant le seul drapeau européen sous l’Arc de Triomphe (remplaçant l’habituel seul drapeau national), l’exécutif souhaitait-il se placer en seul défenseur d’un horizon exclusivement européen ? Probablement pas, puisqu’Emmanuel Macron a réaffirmé son attachement au format très intergouvernemental du Conseil Européen lors de son hommage à Valéry Giscard d’Estaing le 2 décembre 2021.

Selon moi, cet acte est à comprendre comme une volonté de réaffirmation du clivage politique entre progressistes et réactionnaires.

Une appropriation politique de mauvais goût

L’objectif politicien de cette opération est, à mon sens, assez malsain. Vouloir affirmer son identité européenne est certainement louable, en ceci que l’Europe a apporté au moins un mérite sur le continent : la paix à l’intérieur des frontières de l’UE. Face aux arguments des détracteurs à ce symbole, opposant que l’UE n’a rien fait pour empêcher la guerre de Yougoslavie, il faut se souvenir que cet Etat ne se trouvait pas dans l’espace européen, et que la politique étrangère de l’UE, instituée par le Traité de Maastricht, n’en était qu’à ses balbutiements. L’Union européenne a réussi cette prouesse d’avoir participé à rendre caduque, si ce n’est impensable, l’idée d’un conflit entre les Nations qui la composent.

Toutefois, en revendiquant à son seul compte l’identité européenne, l’exécutif opère une manœuvre extraordinairement réductrice pour la lisibilité du jeu démocratique. Ainsi, qui, parmi les candidats à l’élection présidentielle, irait s’élever contre l’idée de la paix en Europe ? Pourtant, en se posant en chef de file des progressistes, l’exécutif opère bien cette manœuvre. Et malheureusement, cela a marché, car la plupart des autres candidats ont mordu à l’hameçon. La droite et les extrême-droites sont immédiatement montées sur leurs grands chevaux, Marine Le Pen allant même jusqu’à menacer de déposer un recours devant le Conseil d’Etat. Cela laisse présager une vision bien peu reluisante de l’appartenance nationale.

L’affirmation de la Nation est dans l’air du temps

L’argument principal de ces forces, rejointes par certains députés de la France Insoumise, fut que le soldat inconnu n’était pas mort pour le drapeau européen. Outre l’extraordinaire arrogance que de postuler des motivations d’un soldat qui, par essence, était inconnu, cela signifie surtout le retour, dans le débat public, d’une conception extrêmement belliciste de la Nation. Réaffirmer la prévalence d’un drapeau national sur un symbole à comprendre, dans ce cas, comme un symbole de paix internationale, trahit in fine une certaine préférence (parfois inconsciente) de la guerre sur la paix. Je crois que c’est particulièrement le cas d’Eric Zemmour, dont les prises de positions virilistes, et proactives par principe, traduisent une forme de bellicisme. Mais il ne me semble pas que les partisans de Valérie Pécresse ou de Jean-Luc Mélenchon soient attachés à la guerre entre les peuples. Or, en revendiquant, dans une sorte de posture de principe la supériorité de la Nation, l’on mène en sous-main ce genre de raisonnement.

Si l’Arc de Triomphe célèbre les victoires de la France, époque napoléonienne comprise, l’on ne doit pas nécessairement y attacher un souvenir évocateur de la grandeur des victoires militaires. En ce sens, la décision d’organiser, le 11 novembre 2018, une fête de la Paix, plutôt que de célébrer ce qui était objectivement une victoire des démocraties sur les Empires, me semble avoir été une bonne décision. Dans cette même logique, le geste symbolique du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe peut être vu comme un dépassement d’une conception belliciste de la Nation. Toutefois, l’Union européenne entre également en conflit avec une certaine compréhension de la dimension nationale de la démocratie, et cela peut expliquer l’irritation de certains responsables politiques.

Une Union adémocratique s’imposerait à la République

Les républicains intègres (dont je suis à n’en pas douter) s’inquiètent en revanche de voir un monument représentatif d’une forme d’identité républicaine, l’Arc de Triomphe, aux couleurs d’une Union technique. Car si l’Union européenne a de grands mérites politiques dans le dépassement de l’exacerbation par principe des clivages nationaux, celle-ci a, par contre, porté un sérieux coup aux prérogatives des Etats-Nations, notamment dans le domaine des politiques économiques. En inscrivant dans le marbre des principes économiques présentés comme intangibles et indépassables (l’indépendance de la Banque Centrale européenne, la maîtrise de l’inflation, l’interdiction de monétisation de la dette publique), l’Union européenne a participé à dépolitiser la politique en sortant du champ de la délibération démocratique des questions qui devraient pouvoir être discutées lors d’élections. Et lorsque ces politiques intangibles de coordination mènent aux résultats que l’on sait (délocalisations en pagaille, casse des services publics, destruction des modèles sociaux), l’on peut légitimement se sentir froissé que la République française choisisse d’arborer, fût-ce temporairement, le symbole d’une institution dont l’action politique va pourtant à l’encontre de l’aspect social de la République, pourtant consacré dans la Constitution de 1958. C’est probablement le sens réel de la contestation par la gauche de cette exposition du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe.

Une polémique salutaire

Cette polémique n’est pas une énième polémique inutile sur des paniques morales. Elle permet d’acter la structuration du champ politique français en trois tendances, qui toutes ont certains ponts entres elles, mais diffèrent tout de même par leurs philosophies : à gauche, un social-patriotisme pour lequel la préférence nationale de raison est gage de réussite sociale ; au centre, un libéral-progressisme voyant dans le dépassement du cadre national une opportunité politique par la tenue d’une posture exclusivement morale ; à droite, un national-renfermisme exaltant l’action et la tradition par principe.

Je ne sais trop comment me placer face à la question qui est à l’origine de toute cette réflexion. Fallait-il placer le drapeau de l’UE sous l’Arc de Triomphe ? Si mon appartenance au camp social-patriote est claire, je n’omets pas de voir dans l’UE un instrument de facilitateur de la paix par le dialogue. Cependant, peut-on tout passer à l’Europe sous couvert du maintien de la paix (dont l’UE n’est, au demeurant, pas une garante absolue) ? Certainement pas. Alors que faire ? Lorsque l’on n’est pas certain de sa position, peut-être pourrait-on sagement choisir de ne rien faire, donc de laisser le seul drapeau tricolore ? Ou alors la bonne solution était possiblement de faire flotter côte à côte les deux emblèmes. Une chose est sûre : si, pour expliquer une telle décision, l’on devait dérouler toute cette réflexion, alors cette action aurait sûrement perdu la qualité d’image symbolique.

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