Elle est immanquable. La plupart des airs et des titres joués par les stations de radio et diffusés en ligne n’y échappent pas : l’électronique s’est imposée parmi les styles musicaux les plus populaires de ces dernières années. Déclinée en dizaines de genre, du dubstep à la trance en passant par l’inévitable House née aux Etats-Unis, la musique électronique semble être portée avant tout par la scène européenne.
Artistes, festivals, labels, l’Union européenne se retrouve régulièrement en première place. C’est ainsi bien loin de Miami, où se déroule l’Ultra music festival, ou de Los Angeles, où prend place l’Electric Daisy Carnival, mais bien en Belgique qu’a lieu chaque année « le plus grand festival d’électro au monde », nommé Tomorrowland.
Et ce n’est pas un hasard si la plus grande piste de danse est si proche des institutions de l’Union européenne : les plus grands artistes de ce domaine sont quasiment tous Européens. Par ailleurs, lorsque le Français Martin Solveig et le Britannique Jax Jones ont formé en 2019 un duo nommé Europa, ce n’est pas seulement symbolique.
L’Europe prend les devants
L’Europe a pu compter sur des précurseurs comme les Allemands Kraftwerk, le titre novateur Children de l’Italien Robert Miles et les Français Jean-Michel Jarre, Daft Punk, ou dans une moindre mesure Justice au début des années 2000. Avant que Bob Sinclar et surtout l’inévitable David Guetta ne crèvent l’écran, inspirant toute une génération.
Et aujourd’hui, David Guetta est toujours en haut de l’affiche, se classant 3e du dernier Top 100 établi par DJ Mag. Dans ces classements, dressés chaque année par la revue britannique d’après les votes du public, les Européens sont en écrasante supériorité. Ainsi les dix meilleurs artistes en 2019 sont à 80% des Européens, avec en numéro 1, un duo belgo-grec, Dimitri Vegas & Like Mike. L’Europe composait même 90% du top 10 l’année précédente et 70% en 2017. Seuls quelques Américains résistent encore, parmi lesquels KSHMR, Steve Aoki ou Skrillex.
Même l’Américain Billboard, qui a établi un classement en 2018, devait bien le reconnaître : si les Américains The Chainsmokers sont classés 1ers et Marshmello 4e tandis que les Jamaïcains de Major Lazer arrivent 5e et Odesza est affiché 10e, six Européens complètent le Top 10, dont l’Ecossais Calvin Harris 2e et le Norvégien Kygo, 3e.
La France s’en est par exemple fait une spécialité. Comme le rappelait France info en avril 2019, les tricolores ont été précurseurs. Peu à peu, la “French Touch” des Laurent Garnier ou Cassius s’est exportée. David Guetta a démocratisé le rôle du DJ et depuis quelques années c’est une véritable nouvelle vague de créateurs qui s’est propagée dans l’hexagone, de Fakear (28 ans) à Kungs (23 ans), en passant par The Avener (33 ans), Synapson, Madeon (25 ans), Petit Biscuit (20 ans), Feder, M83, Kavinsky, The Blaze, Mome ou Ofenbach. Sans oublier DJ Snake (33 ans), le nouvel ambassadeur du pays des Lumières sur la scène électronique.
En dehors de la France, certains Etats européens se distinguent, comme l’Allemagne [1], ou alors sont même de vrais spécialistes en la matière, comme la Suède [2] mais surtout les Pays-Bas, qui présentent des dizaines d’artistes dont les plus réputés de leur domaine, comme Armin Van Buuren, Tiësto ou Martin Garrix [3].
Tant de noms qui ont su s’imposer sur la scène électronique, majoritairement fondée aux Etats-Unis mais qui voit aujourd’hui une domination européenne se développer. Et aux Pays-Bas, cette spécialité s’est traduite en actes. Le Conservatoire d’Amsterdam, prestigieuse école supérieure de musique, a introduit en septembre 2018 dans son cursus un programme de deux ans pour former « les futurs artistes de la scène électronique ». Derrière ce projet, un certain Duncan Stutterheim, fondateur de la société événementielle ID&T, et l’un des responsables de l’organisation de Tomorrowland.
Des outils pour rester au sommet
Le développement de formations dédiées est un premier levier permettant le déploiement de la musique électronique. Plusieurs enseignements sont également proposés en France, notamment à Strasbourg, avec la Longevity Music School, qui se veut « être référente dans cette démarche qu’a l’Éducation nationale de mettre en valeur la musique électronique ». Un autre élément important est l’existence de labels pour permettre aux artistes de produire et de diffuser leurs créations.
Encore une fois, l’Europe présente de belles possibilités. De l’entreprise française Ed Banger Records lancé par Pedro Winter, l’ancien manager des Daft Punk en 2003, à la maison de disques néerlandaise Armada, du DJ Armin van Buuren, le choix est vaste. Protocol Recording, Musical Freedom (Pays-Bas), Size, Axtone (Suède), Yellow Production (France), Ostgut Ton (Allemagne)... Sans parler du colosse Spinnin’Records, fondé en 1999 aux Pays-Bas et qui compte parmi les acteurs majeurs de la planète dans le domaine. Et aujourd’hui le mouvement est loin d’avoir cessé, comme en témoigne l’émergence de nouveaux labels sur le vieux continent. De plus, de nombreux grand DJ [4] ont créé leur propre émission musicale hebdomadaire afin de repérer et de faire connaître les artistes de demain.
Formation, production, diffusion : les radios aussi se mettent à l’électronique. Comme le développe Le Parisien, le business du domaine s’est transformé. Ainsi, en mars 2015, Fun, où les DJ viennent régulièrement proposer des sessions de mixages, a dépassé Skyrock pour devenir la deuxième radio musicale de France. Et même chez le premier, NRJ, la programmation a bien changé : de 14% en 2007, la musique électronique représente, dix ans plus tard, 45% de son antenne. De plus, les NRJ Music Awards ne manquent pas de décorer les artistes du domaine. Et si les revenus des artistes sont encore largement issus des prestations données en “live”, les pistes de danse ne manquent pas en Europe.
Outre le cas de Tomorrowland évoqué plus haut, les festivals électroniques sont légion sur le continent, de l’Allemagne, avec le Airbeat One Festival, à Prague en République Tchèque qui a accueilli des sessions du “Anjunadeep”. La France propose entre autres l’Electrobeach Music Festival tandis qu’Amsterdam reste réputé pour ses “Dance events”. Et si Ibiza en Espagne ne suffit pas aux amateurs du genre, l’Untold Music Festival, qui se tient annuellement en Roumanie depuis 2015 permet aux DJ de tenir des sets musicaux parfois très longs.
Un nouveau modèle
Aujourd’hui, les DJ les plus célèbres touchent des cachets très importants dans ces événements très populaires. Cluj a accueilli 370 000 participants pour la dernière édition du Untold Festival en août 2019. Les producteurs les plus réputés acquièrent un véritable statut de star et se retrouvent même utilisés comme icônes publicitaires, comme pour le constructeur allemand BMW qui s’appuie sur le duo greco-belge Dimitri Vegas et Like Mike.
La musique électronique est devenue un outil culturel important, et l’Euro de football en est une belle illustration. L’hymne de la compétition pour l’édition 2016 qui s’est tenue en France ? Une création de David Guetta. Et pour le tournoi version 2020 (reporté à 2021) et se voulant comme une édition anniversaire pour les 60 ans de la coupe ? C’est le jeune Martin Garrix, 23 ans seulement, mais très populaire, qui s’en est chargé. En revanche, elle triomphe rarement dans le concours de l’Eurovision. Seule la Suède, avec quelques notes en 2015 et un titre volontairement tourné vers la “dance music” en 2012 a réussi à l’emporter dans les années 2010 en choisissant un tel genre musical. Se répandant sur le continent, l’électro serait ainsi encore loin d’être la préférence des Européens.
La politique de l’Union européenne en matière musicale reste assez faible. C’est seulement par le Traité de Maastricht en 1992 que la culture entre dans les compétences de l’UE. Et jusqu’à présent la part de budget dédié au soutien de projets culturels est de 1,46 milliards d’euros, soit 0,15% du budget total de l’UE. “Pas suffisant”, d’après Pascal Brunet, directeur du Relais Culture Europe, relayé par francemusique.fr. La Commission européenne a mis en place un cadre général, Music Moves Europe, et tente, notamment à travers des financements, de “promouvoir la créativité et l’innovation”, de “préserver et d’accroître la diversité de la musique européenne” et enfin, “d’aider le secteur à s’adapter à la numérisation et à en tirer parti”.
Dans cet objectif, des artistes sont récompensés par un prix spécialement créé. Parmi les six catégories, celle de la musique électronique, dans laquelle ont été distingués en 2019 les Norvégiens Smerz et Stelartronic, le compositeur autrichien plus connu sous le nom de Parov Stelar. Cette année, ce sont la jeune Allemande Au/Ra et l’immense révélation italienne Meduza. L’UE valorise ainsi ses propres artistes électroniques afin d’aider le secteur “à s’adapter à la numérisation”.
Un domaine qui se prépare pour les années à venir, comme en France, où le foisonnement d’agents, de collectifs et de lieux dédiés est encore perfectible. Enfin, dans le chapitre qui concerne la promotion de la créativité, l’Union européenne serait inspirée d’encourager les femmes. En effet, le monde de l’électronique reste encore quasiment exclusivement masculin. Dans le dernier classement du DJ Mag, seul un duo féminin, les Australiennes de Nervo, arrivent dans les 40 premiers, alors que la première européenne, MATTN, est 51e. Il ne faudra pas hésiter à se lancer dans cette voie !
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