Bien que l’UE soit un des espaces les plus protecteurs pour les minorités dont les personnes LGBTIQ, la réalité des conditions de vies de ces dernières sont loin d’être parfaites. Comme bien souvent au niveau de l’Union on constate des disparités abyssales. Dans son examen annuel, ILGA-Europe propose un classement des 49 États européens selon leur cadre légal pour les personnes LGBTIQ. Malte obtient le meilleur score avec presque 90% tandis que le dernier État membre de l’Union est classé en 42ème position avec un score de 15,84% (sur une échelle allant de 0% (violation flagrante des droits de l’Homme, discrimination) à 100%). En un mot, l’Union brille une nouvelle fois par les disparités régionales qui l’animent. Ursula van der Leyen l’avait promis dans son discours sur l’état de l’Union en septembre dernier, la voilà seulement deux mois plus tard : la stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ.
Dressant un constat en demi-teinte de la situation des droits des personnes LGBTIQ, la Commission propose une stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ. Cette stratégie consiste en un plan d’action fondé sur quatre piliers qui visent respectivement à lutter contre la discrimination, à garantir la sécurité, à bâtir des sociétés inclusives et à mener le combat pour l’égalité des personnes LGBTIQ dans le monde. La Commission dans cette communication fixe un objectif clair et audacieux à l’Union qui « doit être à la pointe des efforts déployés pour mieux protéger les droits des personnes LGBTIQ ».
Entre belles paroles et actions concrètes que faut-il retenir de cette initiative salutaire de la Commission européenne ? Revenons sur certains aspects de la stratégie présentée qui méritent d’être mis en lumière.
La difficulté pour l’Union européenne de légiférer en la matière
Dans le cadre du pilier relatif à la lutte contre les discriminations envers les personnes LGBTIQ, la Commission propose notamment d’améliorer la protection juridique contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ainsi dans un domaine, comme celui de l’emploi, où l’Union a toujours été très dynamique et à l’avant-garde, la Commission réitère sa proposition de directive de 2008 sur l’égalité de traitement qui étendrait le protection juridique offerte par le droit de l’Union contre les discriminations, notamment sur l’orientation sexuelle. Pourtant, le constat est sans appel : après avoir été discuté à 12 reprises entre 2016 et 2019, le projet de directive reste au point mort. Certaines délégations s’interrogeaient sur la nécessité même de la proposition vue comme un nouvel empiètement de compétence au détriment des États membres et contraire au principe de subsidiarité et de proportionnalité. En l’état des discussions au 27 mai 2019, deux États membres maintiennent une réserve générale sur la proposition en tant que telle. Cette directive devant être adoptée par le Conseil à l’unanimité, ce blocage risque de ne pas être dépassé prochainement.
La Commission s’engage en outre, à l’horizon 2021, à proposer une initiative visant à étendre le champ d’application de la décision-cadre Conseil de 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. La Commission espère ainsi pouvoir ajouter l’identité de genre et l’orientation sexuelle à la race, la couleur, la religion, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique comme motivation d’une incitation publique à la violence ou à la haine devant faire l’objet d’une répression pénale dans les États membres. Là encore il faudra une nouvelle fois mettre d’accord les États membres avant d’aboutir à une modification du texte. Et quand bien même cela aboutirait, il y a fort à parier que cela aura surtout une portée symbolique : beaucoup d’États membres ont déjà de telles législations sans pour autant que la réponse pénale soit efficace et systématique.
Dernier exemple de l’incapacité de l’Union à proposer un cadre normatif contraignant, le pilier de la stratégie relatif au combat pour l’égalité des personnes LGBTIQ dans le monde. Ce n’est pas nouveau, la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union est toujours à un stade embryonnaire. En effet, les États membres s’attachent ardemment, au fil des révisions des traités, à leur souveraineté. Ce dernier pilier autour duquel s’articule la stratégie portée par Mme. Von der Leyen s’analyse plutôt comme une déclaration d’intention abstraite qui manque d’actions concrètes.
Témoins de l’incapacité de l’Union à contraindre en la matière, on ne compte pas les encouragements et les incitations de la Commission à destination des États membres pour échanger leurs « bonnes pratiques » sur la base du volontariat. La stratégie bruxelloise ne déploie pas de cadre législatif rénové mais un soutien financier certain.
La commission met la main au portefeuille
Le manque d’initiative contraignante de l’Union est critiquable mais il faut reconnaitre que la Commission s’engage financièrement dans la cadre de cette stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ. En effet le terme « financement » est présent à quinze reprises dans le texte de la stratégie. Ainsi, comme le réitère le communiqué de presse accompagnant la publication de la stratégie, la Commission offrira des possibilités de financement pour les initiatives qui visent à lutter contre les crimes de haine, les discours haineux et la violence à l’encontre des personnes LGBTIQ.
En y regardant de plus près, la stratégie n’offre pas tellement de nouvelles possibilités de financement mais permet d’orienter ou de réorienter les programmes déjà existants. Par exemple, la Commission, pour lutter contre les inégalités dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la culture et du sport propose de renforcer la prise en compte de l’égalité des personnes LGBTIQ dans les programmes de financement de l’UE comme EU4Health ou le fameux Erasmus+.
Ce parti pris est peut-être l’occasion manquée d’envoyer un symbole fort. Ce constat doit être nuancé et in fine accueilli positivement. En effet, il serait vain de créer un fonds unique alors que l’égalité en faveur des personnes LGBTIQ doit être recherchée dans tous les domaines. Ainsi un fond unique ne serait pas pertinent dans cette optique.
Une stratégie marquée par l’actualité
Cette stratégie s’inscrit dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 qui secoue le continent à l’heure actuelle mais aussi dans le contexte européen plus largement et en particulier l’agenda politique de la Commission.
S’agissant du contexte sanitaire, c’est en partant de situations concrètes de séparations de couples et de familles lors de la fermeture de certaines frontières intra-européennes que la Commission se propose d’améliorer la protection juridique des familles LBGTIQ dans les situations transfrontières en revoyant ses lignes directrices en la matière.
Pour ce qui est de l’agenda politique européen, la Commission n’oublie pas d’intégrer l’égalité en faveur des personnes LGBTIQ dans la toute prochaine réforme du régime d’asile européen (règlement Dublin III). Elle souhaite ainsi assurer une protection appropriée des demandeurs d’asiles vulnérables, notamment des personnes LGBTIQ avec pour objectif annoncé de défendre les droits des personnes demandant la protection internationale.
En définitive, comment qualifier la stratégie de la Commission : audacieuse mais pas assez ambitieuse ? L’Union n’apparait pas prête à surmonter les blocages dus à la réticence de certains États membres. Pour autant, c’est probablement une bonne chose que d’adopter une telle stratégie pour pouvoir engager le débat au sein de la société civile européenne et peut-être à terme aboutir à des changements palpables pour la communauté arc-en-ciel. Comme le résume très bien l’intitulé du rapport de l’Agence des droits fondamentaux de 2020 il reste encore « A long way to go for LGBTI equality » (Un long parcours des personnes LGBTI vers l’égalité).
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