Ursula Hirschmann, une femme pour les États-Unis d’Europe

Article paru à l’origine dans le numéro 186 de « Fédéchoses »

, par Fédéchoses, Giulio Saputo

Ursula Hirschmann, une femme pour les États-Unis d'Europe
Drapeau fédéraliste. Domaine public

Aujourd’hui, nous voudrions rendre hommage à une femme qui a été la preuve vivante de la vocation européenne de la Résistance, qui a toujours lutté pour les droits des plus faibles et qui s’est engagée à réaliser le projet de Ventotene auquel elle s’est consacrée dès le début. Un projet qu’elle a diffusé et défendu au péril de sa vie pendant la dictature nazi-fasciste en Italie et en Europe, un projet révolutionnaire à travers lequel elle rêvait de réaliser également l’émancipation de toutes les femmes, en les unifiant dans la lutte pour des objectifs individuels et collectifs communs.

Extrait de Noi senza patria [Nous sans patrie] d’Ursula Hirschmann, 1993 : « je ne suis pas italienne bien que j’aie des enfants italiens, je ne suis pas allemande, bien que l’Allemagne ait été un jour ma patrie. Et je ne suis même pas juive, bien que ce soit par pur hasard si je n’ai pas été arrêtée puis brûlée dans l’un des fours d’un camp d’extermination. [...] Nous, les déracinés de l’Europe qui avons, comme le dit Brecht, ce roi des déracinés, traversé plus de frontières que nous n’avons changé de chaussures, n’avons également rien d’autre à perdre que nos chaînes dans une Europe unie et c’est pourquoi nous sommes fédéralistes. » (pp. 21 et 22).

Ursula Hirschmann est née à Berlin le 2 septembre 1913 dans une famille de la classe moyenne d’origine juive. Elle fréquente l’université de Berlin avec son jeune frère Albert Otto (qui sera candidat au prix Nobel) et y rencontre, pour la première fois, Eugenio Colorni. Au cours de ces années, Ursula mène une activité antinazie clandestine avec d’autres jeunes socialistes et communistes, car le parti social-démocrate dans lequel elle était précédemment engagée n’avait pris aucune initiative pour s’opposer concrètement à la vague nazie émergente.

Une fois qu’elle a quitté l’Allemagne pour Paris grâce à son frère, elle commence à fréquenter les cercles antifascistes européens et se rapproche des groupes communistes. Déterminée à ne pas rejoindre le parti communiste, elle reste avec les socialistes pour soutenir la politique du "front uni" et s’éloigne de plus en plus de ses anciens compagnons en raison des attaques continues contre les gens qui l’entourent, accusés de « déviance » (trahison), menées par les partisans de la doctrine soviétique. Elle retrouve Colorni, ferme la parenthèse communiste et décide de se rendre à Trieste, où elle l’épouse en 1935.

Après avoir terminé ses études de langues à l’université de Venise, elle s’investit dans des activités antifascistes avec son mari. Lorsqu’il est arrêté, en 1938, elle décide de le suivre à Ventotene. Elle participe avec le groupe des détenus aux discussions sur le "Manifeste pour une Europe unie et libre" et travaille à sa diffusion sur le continent avec Ada Rossi et les sœurs Spinelli. Elle s’installe à Melfi avec Colorni et, lorsqu’il s’échappe de l’asile pour rejoindre la Résistance à Rome, considérant leur relation sentimentale en crise, elle décide de se rendre à Milan avec ses filles pour poursuivre l’activité de la Résistance et la propagande fédéraliste : elle collabore avec Guglielmo Usellini, Cerilo, Fiorella et Gigliola Spinelli à la publication de la revue clandestine L’Unità Europea. Après la fondation du Mouvement fédéraliste européen italien, elle émigre en Suisse avec Spinelli et Rossi. La Résistance européenne doit beaucoup au travail de coordination d’Ursula depuis Genève qui se poursuivra avec l’organisation de la première convention pour les États-Unis d’Europe dans un Paris nouvellement libéré (Orwell, Camus, Mumford et bien d’autres seront présents à l’événement).

Elle épouse Spinelli et décide de coopérer avec lui dans le combat de toute sa vie, convaincue que la démocratie ne peut se développer que si elle est fondée sur une base historique nouvelle : celle des peuples fédérés (de sa lettre à Rossi, le 4 janvier 1948). Ursula sera toujours active et jouera un rôle de premier plan dans l’organisation de l’activité fédéraliste, jusqu’à la fondation en 1975 de Femmes pour l’Europe à Bruxelles. Cette association visait à réunir le front des femmes européennes engagées dans la politique et dans le domaine culturel, en se concentrant sur des problématiques concrètes allant de la promotion de l’accès à l’éducation à la défense de l’égalité des salaires, en passant par la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des femmes immigrées et dans les pays en développement.

Ursula Hirschmann a estimé qu’il est nécessaire de mettre fin à la méfiance réciproque qui existe entre les femmes actives dans la vie politique et les féministes. Il était essentiel pour elle de rassembler toutes les énergies - en participant sur un pied d’égalité aux choix politiques, sociaux, culturels et économiques - pour des objectifs communs : Pour y parvenir, elles doivent surmonter un autre obstacle sur le chemin de leur combat. Pour elles, en effet, les femmes doivent d’abord commencer à se libérer de leurs chaînes individuelles (lutte pour l’avortement, pour l’égalité des salaires, etc.) et "ensuite" elles peuvent s’engager dans la politique [...]. Les femmes doivent au contraire se battre sur tous les fronts [...]. La lutte pour l’unification politique de l’Europe peut être une étape importante et un modèle pour les femmes [...]. Les femmes devront commencer à considérer l’Europe comme une ville en formation, susceptible de prendre la forme qui lui sera donnée.

Peu de temps après, Ursula tombera malade et ne pourra plus jamais revenir activement à un engagement qui est probablement plus pertinent aujourd’hui que jamais, compte tenu de la fragmentation des luttes de notre société civile contemporaine.

Federica Turco parlera d’elle : "Ursula représente une puissante figure de militante politique qui, en même temps, est engagée dans l’organisation d’une vie familière complexe (...). Sa fraîcheur, sa détermination, son dévouement ont toujours été ceux de la jeune Berlinoise qui a décidé, en juillet 1933, que l’Europe était sa maison et, par conséquent, depuis ce moment, elle se nourrit de l’Europe".

Article paru initialement dans la revue « Fédéchoses », la revue de débat et de culture fédéraliste fondée en 1973. Avec tous les remerciements de la rédaction. Article traduit de l’anglais par Claire Versini.

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