Le Conseil européen était attendu pour 11h00 ce mardi 2 juillet après sa suspension la veille par son Président, Donald Tusk. Malgré les absences du Président chypriote, Nikos Anastasiades qui s’est fracturé le fémur à sa jambe droite et celle du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, retenu en campagne pour les élections législatives de ce week-end, l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement se sont réunis pour la deuxième journée consécutive à Bruxelles. Retardée à plusieurs reprises, afin de finaliser les discussions en petits groupes, la réunion en plénière a pu se tenir dans la fin d’après-midi et élaborer un consensus sur les postes clefs de l’Union européenne. Un diplomate a même confié que le déjeuner a été volontairement reporté en toute fin d’après-midi pour faciliter les négociations.
Ursula von der Leyen : le choix conservateur du Conseil européen
Très vite, le compromis de la veille autour de Frans Timmermans a été écarté pour évoquer une présidence de la Commission européenne par un membre du Parti populaire européen (PPE). Si la candidature du Spitzenkandidat Manfred Weber avait été rejetée précédemment, le Conseil européen s’est fait force de propositions en la personne d’Ursula von der Leyen. Actuelle ministre fédérale de la défense en Allemagne proche de la Chancelière Merkel, cette mère de sept enfants, née à Bruxelles, a une culture résolument européenne et ainsi “l’ADN communautaire” selon la formule d’Emmanuel Macron. La droite européenne conserverait donc la Présidence de la Commission européenne et propose pour la première fois une femme à la tête de l’exécutif européen.
Pour garantir le compromis, les sociaux-démocrates (S&D) récupèreraient le poste de Haut-représentant pour les affaires extérieures avec l’actuel ministre des affaires européennes du gouvernement espagnol, Josep Borrell. Quant aux libéraux, Charles Michel, l’actuel Premier ministre belge sortant, est élu à la Présidence du Conseil européen remplaçant le polonais Donald Tusk. Afin de garantir la parité et une haute qualification des nominés, Christine Lagarde, dirigeante du Fonds monétaire international (FMI), devrait devenir la première femme à présider la Banque centrale européenne (BCE).
Une journée intense de négociations aux effets ambivalents
Ce compromis a notamment été le fruit d’intenses négociations avec l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne dont on retrouve les empreintes. Les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie) refusaient fermement les candidatures de Manfred Weber (PPE) et de Frans Timmermans (S&D), tous les deux Spitzenkandidaten, et ont finalement obtenu gain de cause. Blâmée d’avoir précédemment abandonné Weber, Angela Merkel retrouve de la vigueur avec la nomination de sa compatriote qui confirme son leadership au sein de la CDU (Union chrétienne démocrate) allemande et d’une partie du PPE. Quant à Emmanuel Macron, rien ne semble contredire sa recomposition politique de la scène européenne. Selon lui, cette nomination est le « reflet des nouveaux équilibres politiques à même d’appliquer l’agenda stratégique » fixé pour les cinq prochaines années.
La marque des socialistes a également retrouvé forme avec un accès à la première vice-présidence de la Commission européenne pour Frans Timmermans, la nomination de Josep Borrell au poste de Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère ainsi que du partage supposé de la Présidence du Parlement européen avec les conservateurs. Les libéraux semblent se contenter de la Présidence du Conseil européen et d’une vice-présidence importante de la Commission européenne avec la redoutable danoise Margrethe Vestager. Angela Merkel a tenu à ce que « la nouvelle constellation européenne permette à chaque Spitzenkandidat de jouer un rôle », Manfred Weber deviendrait ainsi Président du Parlement européen dans deux ans et demi après un premier mandat social-démocrate, le nom du bulgare Serguei Stanishev étant évoqué par le Conseil européen. Toutefois, les candidatures ayant été clôturées le 2 juillet à 22h, c’est officiellement l’italien David-Maria Sassoli qui tentera de briguer la présidence du Parlement pour le S&D.
« Si elle est élue [par le Parlement européen à la majorité de ses membres], Ursula von der Leyen sera la première Présidente de la Commission européenne » a souligné Donald Tusk lors de sa conférence de presse, reprenant à son compte la qualification d’« historique » que plusieurs dirigeants européens faisaient prévaloir. Les quatre personnalités ont fait l’objet d’un consensus difficile à atteindre mais unanime, notamment parce qu’elles « se sont toujours illustrées par leur engagement extrêmement fort en faveur des idées européennes » a souligné le Président de la République française. Excepté l’Allemagne qui s’est abstenue pour le vote sur la candidature d’Ursula von der Leyen en raison de dissensions internes à la coalition au pouvoir, l’ensemble des candidatures ont été adoptées à l’unanimité.
Une injure au principe du Spitzenkandidat
Selon nos informations, le Parlement européen ne serait cependant pas prêt à adopter un tel compromis. Plusieurs élus sociaux-démocrates à l’image d’Evelyne Gebhardt (S&D, Allemagne) ont émis un clair « Non ! », refusant « la candidature d’Ursula von der Leyen comme Présidente de la Commission européenne ». Les Verts sont par ailleurs mis grandement à l’écart de cet accord alors qu’un programme commun s’élabore au Parlement européen avec la droite conservatrice, les sociaux-démocrates et les libéraux de Renew Europe.
De plus, de nombreux eurodéputés fraichement réunis à Strasbourg pour la session plénière inaugurale du Parlement européen ont averti que c’est « au Parlement de décider de sa propre présidence, en aucun cas au Conseil européen de décider à sa place ». Le blocage institutionnel a été régulièrement dénoncé, que ce soient par les Verts européens, la gauche unitaire européenne, certaines voix conservatrices du PPE ou bien les sociaux-démocrates. Un compromis entre la proposition du Conseil européen et les parlementaires européens est pourtant indispensable, la Commission européenne étant élue et investie par le Parlement européen.
Par un tel coup de surprise, le Conseil européen est certes resté maître des horloges, faisant cependant fi du principe du Spitzenkandidat auquel les parlementaires européens sont grandement attachés. Rappelé au sein de plusieurs résolutions pendant la mandature précédente, le Parlement européen « est prêt à rejeter tous ceux qui se présentent au poste de Président de la Commission et qui ne sont pas des "candidats en tête de liste" [Spitzenkandidaten] des partis politiques européens ». En ne tenant pas compte de ce principe, le Conseil européen fait une double erreur : il risque d’une part de voir son choix refusé par le Parlement européen qui a toute la légitimité d’élire et investir la Commission européenne et créé d’autre part un précédent de recul de la démocratie parlementaire européenne en choisissant une candidate qui n’a pas pleinement participé à la campagne des élections européennes.
A l’issue de ce Conseil européen harassant, il serait temps d’ancrer l’efficacité, la transparence et le fonctionnement des règles démocratiques dans les méthodes de désignation des postes à responsabilité européens. Certes, la Chancelière Angela Merkel évoque des listes transnationales « comme remède démocratique » pour le futur, mais l’acte de démocratisation de cette nomination ne peut s’inspirer que d’une méthode claire basée sur un modèle parlementaire qui respecte le choix démocratique des citoyens.
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