Victoire surprise du Premier ministre « perdant » en Arménie

, par Alexis Vannier

Victoire surprise du Premier ministre « perdant » en Arménie
Le tricolore arménien Source Pxfuel

Une semaine après les votations fédérales helvétiques qui ont montré l’opposition des Suisses à un durcissement de mesures environnementales (émission de gaz à effet de serre, utilisation de pesticides), et alors que les Français se rendent aux urnes pour le premier tour des élections régionales et départementales, les Arméniens ont dû renouveler l’Azgayin Zhoghov, l’Assemblée nationale locale, une nouvelle fois de manière anticipée et dans un contexte éminemment tendu.

L’Arménie en manifestations, révolutions, crises…

Le dernier scrutin en 2018 était lui-même anticipé par rapport à sa date initiale. En effet, une Révolution de velours, sur le modèle de la révolution tchèque de 1989, avait éclaté début avril 2018 contre les dérives autocratiques du tout-puissant Président devenu le non-moins-puissant Premier ministre Serge Sarkissian, accusé de corruption et de favoritisme. Les coups de filet parmi les figures de l’opposition sont la goutte d’eau : sous la pression de la rue et de partenaires internationaux, le Premier ministre accepte de démissionner deux semaines après le début des manifestations. Seulement, la population en veut plus : la figure de l’opposition et leader de l’alliance « Mon pas » Nikol Pachinian parvient à se hisser au poste de Premier ministre, en faveur d’un Parlement dominé par le Parti républicain du Premier ministre démissionnaire qui s’est résolu à écouter la colère populaire. Son programme : débarrasser l’Arménie du système clientéliste et corrompu d’une caste trop longtemps laissée les mains libres.

Après quelques résistances sur fond de conflits institutionnels, un scrutin législatif est finalement convoqué et voit une victoire par KO de l’alliance « Mon pas » : 70,42% des électeurs décident de lui faire confiance. Seuls deux autres partis réussissent à maintenir des sièges parmi les 132 de l’Assemblée : “Arménie prospère”, formation conservatrice russophile, perd 20% de ses électeurs, totalisant 26 strapontins, quand “Arménie lumineuse”, proeuropéen libéral, réunit 6,3% des voix et remporte 18 sièges. Le Parti républicain, lui, perd l’ensemble de ses 58 sièges, son score est divisé par 10 et tombe sous le seuil électoral, à 4,7%. C’est ce que l’on appelle communément une gifle électorale. La participation, en baisse de 12 points, ne dépasse pas les 50% et nuance cette large victoire. L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) n’a pas hésité à applaudir un processus électoral cochant les cases de la démocratie pluraliste et de la liberté de vote.

Fait inédit, la razzia de « Mon pas » déclenche une clause de la loi électorale affaiblissant la présence au sein de l’hémicycle du parti victorieux afin d’éviter une hégémonie antidémocratique, sans pour autant torpiller sa majorité absolue. Fort de ces vents favorables, les réformes se sont succédées pour renforcer l’état de droit et les institutions démocratiques contre le fléau de la corruption. Cependant, des événements extérieurs sont venus donner un coup d’arrêt fatal à cette locomotive réformatrice.

…Guerre et colères

À l’automne 2020, l’Azerbaïdjan voisin profite d’échauffourées pour lancer une vaste offensive militaire et reprendre le contrôle de la région séparatiste du Haut-Karabakh. L’enclave, peuplée quasi-exclusivement d’Arméniens en territoire azerbaïdjanais, est disputée depuis l’indépendance des deux États. Une très bonne analyse de ce conflit éclair est à retrouver dans cet article du Taurillon. Finalement, au profit d’une coopération militaire juteuse avec le grand frère turc, l’accord de fin des hostilités conclu entre les deux parties sous l’égide du voisin russe, penche très clairement du côté de Bakou : les trois-quarts du territoire sécessionniste repassent sous contrôle de la dictature azerbaïdjanaise. La population arménienne, échaudée, a vivement réagi à cette déroute. Des scènes d’émeutes et d’occupation de bâtiments officiels ont de nouveau émaillé les rues d’Erevan. Devant un nouveau chaos en perspective et à l’instar de son malheureux prédécesseur, Nikol Pachinian se résout à démissionner et convoque de nouvelles élections législatives de manière anticipée, sous les huées d’une partie de la population le qualifiant de « traître » et de « perdant ».

À l’issue d’une campagne évidemment marquée par cette défaite militaire et portée par des discours nationalistes voire guerriers, à la surprise générale, le Contrat civil, dirigé par le premier ministre sortant, conserve une belle majorité : 53,9% des suffrages obtenus, soit 71 sièges maintenus. C’est une chute lourde (-17% par rapport à 2018) mais une victoire honorable au regard des derniers sondages qui le plaçait aux alentours des 20%. Son principal opposant, l’ancien Président Robert Kocharyan (1998-2008) accusé à l’époque des mêmes maux que l’ex-Premier ministre poussé à la démission en 2018, menant “Alliance Arménie”, recueille à peine plus de 20% des voix et 29 sièges, alors que la formation regroupant le Parti républicain, obtient 5,3% des voix et 7 sièges. Les autres formations ne parviennent pas à se maintenir dans la nouvelle assemblée. Robert Kocharyan a déjà dénoncé des fraudes malgré le respect des règles électorales observées durant le processus de vote par le Président de la commission électorale nationale. Espérons que cela suffise à apaiser une situation sur le fil du rasoir.

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