Virage libéral-conservateur en Lituanie

, par Alexis Vannier

Virage libéral-conservateur en Lituanie
Le Parlement lituanien. Crédit : Flickr

C’était ainsi au tour des Lituaniens de prendre le chemin des urnes. Alors que les Chiliens décident enfin (le vote a été repoussé de 4 mois en raison de la pandémie) du sort de leur Constitution pour tenter de mettre fin à la violente crise politique qui a secoué le pays en fin d’année dernière, et que les Açoréens renouvellent leur parlement local, le Pays des cigognes était ainsi appelé à renouveler les 141 sièges du Seimas, le parlement local, après 4 ans de mandat.

Des changements internes et des bouleversements externes

L’année 2019 signe la fin de l’ère Dalia Grybauskaitė, la « Magnolia de fer ». L’ancienne Commissaire européenne à la Culture puis au Budget a également présidé la République de Lituanie pendant 10 ans à partir de 2009. Connue pour son discours hostile envers la Russie voisine et son attachement au bloc européen, c’est la seule parmi les chefs d’État et de gouvernement européens, avec l’allemande Angela Merkel, à rester en place de la crise financière de 2008-2009.

En 2019, c’est un économiste indépendant, Gitanas Nausėda, qui remporte le scrutin présidentiel face à une libérale-conservatrice pourtant appréciée du public, mais également contre le Premier ministre en exercice Saulius Skvernelis, soutenu par l’Union lituanienne agraire et des Verts (LVŽS). Cette élection se tenait en même temps qu’un référendum sur la réduction du nombre de parlementaires et la double-nationalité, invalidé à cause de la trop faible participation : 10 points séparent la participation aux consultations et à la présidentielle. Une réduction parlementaire qui a été validée par les Italiens.

Récemment, la Lumière de la Baltique a été propulsée sur le devant de la scène diplomatique avec la crise politique au Bélarus en devenant une terre d’accueil pour de nombreux opposants au régime criminel d’Alexandre Loukashenko et notamment sa figure de proue Svetlana Tikhanovskaïa, qui a rencontré le Président Macron le 29 septembre dernier.

Les autorités lituaniennes se démènent depuis pour soutenir l’opposition et secouer la communauté internationale en appelant à des sanctions et en critiquant par la même occasion l’inaction de l’Union européenne, ou en organisant une conférence internationale à ce sujet. Le soutien du gouvernement aux manifestations populaires bélarusses n’est cependant pas du goût du parti ethnique polonais (LLRA) qui soutient des positions pro-russes.

La détermination du gouvernement lituanien et de ses voisins baltes se calcule à l’aune de la peur du voisin russe, notamment sur ce qui constitue la Brèche de Suwalki. Les citoyens ne sont pas en reste puisqu’ils ont formé une chaîne humaine jusqu’à la frontière bélarusse qui rappelle la magnifique Voie balte de 1989 pour l’indépendance des trois républiques de la Baltique.

Rappelons que la Lituanie a toute légitimité pour défendre la démocratie et l’État de droit au Bélarus, contrairement au gouvernement polonais qui défend ces valeurs chez son voisin, mais beaucoup moins en interne.

Des résultats très serrés

Avec un scrutin mi-proportionnel, mi-majoritaire, le mode d’élection des députés lituaniens explique des résultats de 2016 qui pourraient paraître surprenants. Ainsi, alors qu’une très faible majorité des électeurs s’est déplacée, si la coalition Union de la Patrie-Chrétiens démocrates (TS-LKD) termine à la première place recueillant 22,6% des suffrages et 31 sièges, c’est bien l’Union agraire et des Verts (LVŽS) avec 22,45% des voix qui comptabilise le plus de sièges : 54. Le plus intéressant est de comparer avec le scrutin de 2012 puisque le LVŽS ne comptait qu’un seul député !

Arrivés troisièmes du scrutin avec plus de 14% des voix, les sociaux-démocrates du LSDP perdent 21 sièges et en conservent 17. Les nationaux-conservateurs d’Ordre et Justice (TT) ne sécurisent que 8 sièges sur les 11 qu’ils possédaient. Contrairement à la majorité des pays européens, les campagnes lituaniennes votent plutôt à gauche quand les villes penchent à droite.

C’est donc l’indépendant Saulius Skvernelis, porté à la tête de LVŽS depuis peu, qui est désigné pour former un gouvernement. Parvenu à un accord de coalition avec le LSDP, il obtient le soutien sans participation du parti de la minorité polonaise et du TT d’extrême-droite. Ce dernier soutien a conduit à la scission du parti social-démocrate : des députés du LSDP ont créé le LSDDP pour maintenir leur participation au gouvernement.

Ancien commandant de la police nationale, Saulius Skvernelis a engagé des réformes structurelles fortes dans les domaines de la lutte contre la corruption et de la sécurité routière notamment. Il s’est également illustré en 2018 en participant à la Marche des fiertés à Vilnius, la capitale du pays, et en enjoignant le Parlement à reconnaître enfin une forme d’union civile pour les couples homosexuels, position d’autant plus inédite dans ce pays qui a voté une loi sur la protection des mineurs contre les « contenus homosexuels dans les manuels scolaires et les publicités », guère différente d’une loi russe toute aussi discriminatoire.

Il s’est également opposé un temps à la ratification de l’accord UE-Cuba, position qui lui a valu toute la sympathie du Président étasunien. Dans sa lutte contre l’influence russe, le gouvernement, suivant l’exemple letton, a également décidé de bannir la chaîne publique Russia Today de son territoire.

La lourde défaite du Premier ministre Skvernelis, alors en exercice à la présidentielle de 2019 (à peine 20% des suffrages), marque un tournant certain dans son mandat, qu’il promettait de rendre lors de l’intronisation du nouveau Président. Promesse non tenue puisqu’il décide finalement de se maintenir jusqu’aux prochaines élections. Son récent soutien à Varsovie dans sa relation tendue avec Bruxelles à propos de l’État de droit est cependant inquiétant. Une « ‟dé-soviétisation” du système judiciaire » signifie justement la prohibition de toute influence du pouvoir exécutif sur les juges. La cohérence n’est visiblement pas la qualité première du gouvernement de Vilnius.

Les libéraux conservateurs du TS-LKD obtiennent 19 sièges de plus pour en totaliser 50 quand le sortant LVŽS obtient 32 sièges, soit 22 de moins qu’au précédent scrutin. Le partenaire de coalition de centre-gauche du LSDDP n’engrange que 3 sièges, contre 10 pour le Parti du travail. Le nouveau parti progressiste libéral Laisves réalise une très belle performance en remportant 11 députés, une grosse surprise compte tenu de sa campagne menée sur la légalisation du cannabis, la politique éducative et les droits des homosexuels. Les libéraux du LRLS obtiennent 13 sièges, autant que les socialistes (13). Le Parti du Travail et Laisves sont donc à la croisée des négociations qui ne vont pas tarder à agiter Vilnius. Le LLRA polonais, soutien du gouvernement, parvient tout juste à rester au Parlement avec 3 sièges, tout comme l’extrême droite coalisée Union de la liberté qui n’obtient qu’un seul représentant.

C’est une déroute pour les partis au gouvernement alors que l’opposition de droite remporte le scrutin, malgré une surprise progressiste et un débandade de l’extrême-droite.

Un accord de coalition devra donc de nouveau se négocier, même si Saulius Skvernelis a d’ores et déjà fermé la porte à des négociations avec le dirigeant de la droite conservatrice Gabrielius Landsbergis. Une coalition libérale-conservatrice autour de TS-LKD, DP et LRLS devrait néanmoins voir le jour à l’issue des négociations.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom