Le Cliché européen

William Keo, photojournaliste de l’agence Magnum

, par Chérine Zidour, Sophia Berrada

William Keo, photojournaliste de l'agence Magnum
William Keo

INTERVIEW MENSUELLE. Depuis Zaporija d’où il couvre la guerre en Ukraine William Keo nous révèle les coulisses de son métier de photojournaliste. Sept ans après avoir commencé à user de son appareil photo pour payer ses études, il est entré à la célèbre agence de presse photographique étasunienne Magnum.

Le Taurillon : Quel a été ton parcours de photojournaliste ?

William Keo : J’ai 25 ans. J’ai commencé le photoreportage quand j’étais étudiant, pour payer mes études : je travaillais pour des ONG et pour quelques titres de presse. Il y a quelques mois je suis entré à l’agence Magnum en tant que photojournaliste.

À 18 ans, après le baccalauréat, on se cherche, et bien souvent on se politise. Ce sont des choix politiques qui m’ont mené à la photographie. J’avais de forts attraits pour tout ce qui est lié aux droits de l’homme, principalement pour la migration, c’est ce qui m’a poussé à aller documenter la crise syrienne avec mon appareil photo.

N’étant pas un très bon rédacteur, j’ai choisi la photo plutôt que la plume, car c’était le le médium avec lequel je me sentais le mieux. C’est un moyen de m’exprimer.

Que représente ce métier pour toi ?

C’est avant tout mon boulot, mon gagne-pain. Un photojournaliste c’est tout simplement un journaliste avec un appareil photo. L’objectif premier n’est pas de faire des jolies photos, mais de relater un narratif. On le fait du mieux qu’on peut. Il faut un sens du storytelling même si ça a des limites. Et puis on est limité par son œil, sa taille, son poids, sa timidité, les moyens techniques.

Vous êtes actuellement en mission en Ukraine, quelle est la situation sur place ? Comment avez-vous été amené à vous y rendre ?

Je m’étais déjà rendu en Ukraine il y a quelques années, en 2014 après Maïdan pour un reportage dans le Donbass, dans l’est du pays. Dans la république populaire de Donetsk, pour être précis. En 2018, personne ne se préoccupait du conflit ukrainien. Mon intérêt était de déchiffrer le fonctionnement de cet État anarchiste et d’en faire un portrait, de passer par les lieux de pouvoir et de comprendre comment ils réécrivent l’histoire. Je me suis rendu compte que là-bas ils n’étaient pas pro-russes, mais pro-soviétiques. A l’époque, s’y rendre était déjà compliqué mais j’avais de bons contacts qui m’ont rendu l’exercice plus aisé.

L’agence Magnum est particulière, elle « appartient » aux photographes. Fondamentalement, c’est plus le staff qui travaille pour nous plutôt que l’inverse : c’est une agence coopérative. Le matin où la Russie a lancé les premières frappes sur l’Ukraine, j’ai envoyé un mail à l’agence : « si vous me trouvez une commande je suis prêt à partir en Ukraine et j’ai des contacts sur place ». Le lendemain on m’a téléphoné et j’ai été envoyé, pour l’Obs.

Finalement j’ai dû me refaire un nouveau réseau sur place, car la plupart des journalistes et des fixeurs que je connaissais de mes précédents reportages et qui travaillent en Ukraine sont aujourd’hui soit occupés, soit volontaires, soit combattants, soit déjà hors du pays.

Dans quelles villes vous êtes-vous rendu depuis votre arrivée en Ukraine ?

J’ai débuté par la frontière avec la Pologne, à un poste-frontière où il y avait énormément de monde, les routes étaient saturées. On est ensuite allés à Lviv, pour couvrir l’organisation de la guerre qui s’y tient, c’est aussi le départ international des réfugiés vers tous les autres pays. C’est un endroit très vivant, avec un nombre de passages impressionnants. Je suis ensuite parti à Odessa avec mon camarade de Libération pour couvrir comment la ville se préparait au siège, comment la vie s’organisait, comment se passaient les évacuations, puis la religion dans la guerre. Nous sommes aussi passés par un village qui a repoussé une offensive très importante des forces russes. J’y ai photographié des mecs qui déterraient des soldats russes pour les mettre à la morgue. Là je suis à Marioupol, pour tenter de documenter son corridor humanitaire.

Comment devient-on photojournaliste ? Doit-on avoir des aptitudes particulières ? De la témérité ? Une force d’âme ?

D’abord il faut savoir ce qu’on photographie, et ça c’est déjà être un peu journaliste. Il faut connaître ses sujets, réfléchir à l’angle que l’on veut traiter, tout en ayant conscience du cadre dans lequel on se situe.

Je ne dirais pas qu’il faut des aptitudes spécifiques mais pour ma part je couvre des conflits, et je raconte des vies. Pour le faire, je trouve qu’il est indispensable d’avoir des qualités humaines. Être empathique sans se laisser consumer. C’est aussi être débrouillard. Les conditions de reportage sont extrêmes. Il faut être patient, à l’écoute, et savoir gérer son stress car ce métier est pesant, usant. Il est indéniable qu’il faut avoir le sens de l’histoire, et garder à l’esprit de toujours essayer d’être un bon photographe et un bon journaliste.

Quelles sont les difficultés que tu rencontres au quotidien ? Est ce que les habitants que tu rencontres se montrent hostiles ? Se laissent-ils facilement prendre en photo ?

Je suis en ce moment avec Pierre Alonso, un rédacteur pour Libération, dans le centre du pays pour tenter de documenter le corridor humanitaire de Marioupol. On travaille avec un fixeur, une personne indispensable avec qui nous, journalistes, sommes en étroite collaboration. Il traduit, nous guide, nous sert également de chauffeur

Dans tous les pays où je me suis rendu, la population était globalement assez ouverte car les personnes que je croise pensent que les médias sont utiles. En revanche, à Odessa il y a deux semaines, les gens étaient paranoïaques. L’héritage de l’URSS y est encore très présent, et les gens ont une culture de l’image très particulière.

Pour ce qui est de notre quotidien en période de conflits, loger à l’hôtel est privilégié car plus sécurisé. Les hôtels sont en général équipés de souterrains où on peut se rendre en cas de bombardements. Lors de nos déplacements on emporte un casque, une trousse médicale, nos accréditations et bien entendu mon matériel photographique.

Le rythme est assez soutenu, mais nous sommes de retour à l’hôtel quasiment tous les soirs. Le rédacteur tape son papier assez vite, et j’édite mes photos à la même fréquence pour être publié le plus rapidement possible. Certaines journées commencent à 6 heures, et se terminent à 20 heures selon le couvre-feu mis en place dans la ville où nous sommes.

Quel message cherches-tu à faire passer par tes clichés ? Qu’est ce qui te plaît dans ta profession ? La recherche de vérité ? D’adrénaline ?

À l’heure des réseaux sociaux, tout le monde poste des photos. La documentation de la guerre n’en est que plus riche. Mon boulot n’est pas de raconter en premier mais de mieux raconter. C’est fondamentalement de rapporter une histoire humaine à un certain public. Via notre force médiatique on peut mettre en lumière un point de vue.

Je ne pense pas qu’une photo puisse résumer toute la situation. Mais un bon cliché doit être bien composé, nous procurer une émotion et nous toucher car il rappelle des choses universelles, familières.

Il faut prendre garde à ne pas s’enfermer dans nos propres clichés, et de ne pas toujours être à la recherche de la photo la plus choquante. On a besoin d’images de la société, de tranches de vie, pas uniquement d’images du front. La surexposition de ce genre d’images peut déformer l’opinion publique.

Je réfléchis en logique de séquence. C’est sur un ensemble de photos qu’on va avoir une idée de ce qui se passe. En janvier, j’étais en Irak. Je n’y ai pas fait que des lignes de front, d’autant qu’y accéder est très compliqué, et ce n’est pas ce que je considère comme le plus intéressant. Ici je raconte plus d’histoires civiles que d’histoires militaires.

Les zones de conflit sont mes zones de confort. J’y suis à l’aise. J’arrive à bosser, à nouer des contacts. Je fais confiance.

Une rencontre t’a-t-elle marqué plus que les autres ?

Je suis allé dans un laser game qui a accueilli des réfugiés de Marioupol. On y a rencontré un groupe de gamins. L’une d’entre eux me racontait des choses avec des dessins, c’était puissant et émouvant. La souffrance humaine c’est cruel à voir, plus que le stress des lignes de front. Un autre événement que j’ai trouvé incroyable est arrivé la semaine dernière à Odessa, dans le centre-ville qui est complètement militarisé. L’orchestre a commencé à jouer devant nous et c’était très fort.

Une chose à rajouter ?

Pour l’instant, on dépeint le conflit du côté ukrainien. Très peu le font de l’autre côté car c’est très difficile de bosser du côté russe. Plein de clés de lecture nous manquent, on transmet les informations au jour le jour, notre vision du conflit est très locale, et c’est assez difficile d’avoir une vision détachée de la situation, de s’en affranchir. Plus on y est, moins on en sait. Tout le monde a une théorie sur les motivations de Poutine mais personne ne sait pourquoi il agit de la sorte. Il est primordial de ne pas tomber dans une analyse fermée de la situation et de se remettre en question constamment.

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