La stabilité de la zone saharo-sahélienne, un enjeu d’envergure européenne
Dès le début de l’année 2012, des nombreux troubles politiques et militaires ont sévi dans le nord du Mali. La relative vacuité de l’Etat malien, la fragilité de la situation politique et l’impréparation de l’armée ont favorisé une rapide prise de contrôle de l’Azawad par des rebelles touaregs. En juin 2012, ces mêmes rebelles furent supplantés par des groupuscules islamistes, fortement liés à Al-Qaeda et désireux de faire du Mali une base arrière du terrorisme dans la région, comme le fut l’Afghanistan il y a quelques années.
La prévention du terrorisme, loin d’être une question propre à la France, est une nécessité vitale pour l’ensemble des Etats européens, voire pour l’Occident dans son ensemble. Au cours des deux précédentes décennies, la plupart des Etats membres de l’Union européenne ont eu à connaître des actes de terreur, pour beaucoup liés à l’islamisme radical : outre la France (1995-1996), l’Espagne (2004) et le Royaume-Uni (2005) ont connu des attentats meurtriers révélateurs des nouvelles menaces auxquelles le Vieux Continent est aujourd’hui confronté.
La principale menace pour l’Europe n’est désormais plus celle d’une guerre conventionnelle entre Etats, mais bien de conflits larvés, puis ouverts, menés par des groupuscules terroristes installés dans des Etats faillis.
Dès lors, l’Afrique de l’Ouest comme l’Europe ont tout intérêt à mener une action commune afin d’endiguer la menace d’un terrorisme modernisé.
Des capacités exclusivement nationales de projection de forces armées
On ne saurait blâmer la France pour ne pas avoir consulté ses partenaires européens avant d’engager ses forces au Mali, alors que la localité de Konna venait de passer sous le contrôle des islamistes et que la ville stratégique de Mopti était directement menacée par l’insurrection. Par conséquent, les forces françaises ont en quelque sorte incarné les intérêts européens, et le gouvernement français a certainement agi de la seule manière envisageable face à la gravité de la situation.
Alors qu’une partie de la communauté africaine saluait la décision du président François Hollande, la presse européenne faisait observer que la France avait avant tout décidé de jouer cavalier seul. Peut-on pourtant l’en blâmer ?
L’envoi d’une force proprement européenne constituée de contingents nationaux n’aurait pas été concevable. Malgré quelques mises en commun et opérations menées de concert, l’Europe ne dispose pas encore du potentiel nécessaire pour envoyer une telle force de son propre chef sur un théâtre d’opérations extérieur. Si des décisions d’ampleur auraient pu être mises en œuvre par l’Union, la moindre action ambitieuse aurait nécessité un accord unanime de la plupart des Etats européens.
L’Union européenne à 27 : des compétences a minima, un grave déficit de crédibilité
Cette faiblesse des compétences de l’Union ne saurait cependant pas totalement expliquer le contraste saisissant entre la gravité stratégique de la crise au Mali et l’insignifiance des actions mises en place par l’Union européenne.
Ainsi, ce ne fut qu’une semaine après l’intervention de la France au Mali que Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité, a décidé de réunir les ministres des affaires étrangères des 27 [1]. Ces derniers ont, de façon prévisible, chaleureusement salué l’action de la France avant de refuser timidement l’envoi de toute troupe combattante dans la région.
En conséquence, les seules décisions prises par le « Conseil des affaires étrangères » furent l’accélération du processus de formation de l’armée malienne et la nomination d’un nouveau représentant spécial pour le Sahel. Les observateurs sont unanimes pour considérer que la formation des soldats maliens n’était pas une priorité absolue, alors que les islamistes ne sont plus qu’à quelques centaines kilomètres de Bamako et auraient certainement poursuivi leur offensive sans l’intervention française. La nomination d’un représentant spécial ne règlera pas davantage le problème de l’unité de l’action européenne.
Quelques jours plus tôt, face aux députés européens, Catherine Ashton a souligné l’ampleur des moyens financiers mis en place au Mali, mettant en exergue le fait que plusieurs millions d’euros avaient d’ores et déjà été transférés par l’Union au gouvernement malien pour « la crise alimentaire et le conflit politique ». Il est cependant évident qu’une aide financière ne résoudra en rien les difficultés auxquelles le Mali est confronté.
Alors que la stabilité du Mali est un enjeu vital pour l’Union européenne, la France restera seule. Elle n’aura reçu des dirigeants de l’Union et de ses Etats membres que quelques encouragements et moyens logistiques pour soulager l’effort que l’intervention ne manquera pas d’exiger de ses finances publiques. Le Royaume-Uni, ordinairement particulièrement actif en matière de défense, aura sur ce point rejoint la plupart de ses partenaires.
Jusqu’à la fin de l’intervention française, il est donc probable que l’Europe ne fasse qu’assister passivement au déroulement du conflit, tant en raison de l’insignifiance de ses moyens d’action que de la médiocrité de ses principaux dirigeants.
L’Europe politique, préalable à la conception d’une capacité de projection européenne
En s’appuyant sur l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a rapidement permis un rétablissement de la situation dans la région de Mopti ; pour autant, peut-elle combattre seule les islamistes dans le nord du Mali ? L’Europe est-elle dans son rôle en remerciant la France, comme l’a servilement fait Mme Ashton ?
L’embryon de réponse européenne à la crise au Mali recèle deux enseignements majeurs. En premier lieu, la frilosité de la plupart des Etats européens face à cette crise est parfaitement compréhensible. Seul un gouvernement politique de l’Union aurait pu permettre une réponse crédible, efficace et européenne au conflit. En l’absence de ce gouvernement, aucun militaire européen autre que français ne participera au combat et aucun moyen technique véritablement décisif ne sera mis à la disposition de l’armée française par les Etats membres.
En second lieu, la faiblesse des moyens politiques et financiers de l’Union européenne ne saurait expliquer à elle seule l’inaction de ses dirigeants, et notamment les manquements caractérisés de la dirigeante de la diplomatie européenne. A aucun moment depuis le 11 janvier, Mme Ashton n’aura proposé de sommet d’urgence des chefs d’Etat et de gouvernement, ni de solution ambitieuse autre qu’une simple « accélération » des programmes en cours.
Le fédéralisme, meilleure réponse aux problématiques d’intérêt européen
Pour que l’Europe puisse intervenir de façon autonome lorsqu’une telle situation se reproduira, il faudra au préalable que chaque Etat (et chaque peuple) européen se soit ouvertement prononcé en faveur d’un transfert clair de souveraineté dans le domaine de la défense. L’Europe devra alors disposer, au-delà de possibles aides financières et de programmes de formation, d’un véritable hard power, constitué de capacités de dissuasion et de projection de forces. La constitution d’un gouvernement démocratique, crédible et fédéral est la condition sine qua non pour que des puissances militaires comme la France et le Royaume-Uni n’aient pas la tentation d’intervenir seules.
Plusieurs questions demeurent cependant en suspens ; il sera d’abord nécessaire de trancher une fois pour toutes la question de savoir si la base d’une Europe fédérale doit être la zone euro ou l’Europe des 28. En effet, la réticence du Royaume-Uni à des transferts de compétences à l’Union s’accentuera probablement au cours des prochaines années, et il serait légitime de considérer que l’Europe ne pourra mettre en place des politiques régaliennes que si les Etats les plus volontaristes y consentent.
Malgré les discours conciliants et les formules d’encouragement, il est indéniable que le soft power aujourd’hui déployé par l’Union dans la crise malienne n’a aucun impact et révèle que l’Europe est totalement dépassée par la situation. Face à l’urgence tactique et à la gravité stratégique des combats à venir, la France risque fort de trouver ses meilleurs alliés non pas en Europe, mais en Afrique.
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