Monsieur Cormand, où doit-être le siège du Parlement européen selon vous et que vous inspire l’absence des eurodéputés dans l’hémicycle strasbourgeois depuis des mois ?
Le siège du Parlement européen est à Strasbourg, c’est dans les traités, mais ce n’est pas qu’une question de traité. Du fait effectivement de la crise sanitaire, il a été considéré qu’il était dangereux, problématique, de faire converger vers Strasbourg des parlementaires européens qui viennent de toute l’Europe. Et qui retournent ensuite dans leur pays accompagnés de toute ou partie de leurs équipes. Ça représente un afflux de concentration dans un lieu clos pendant quelques jours suivi d’une dispersion. Mais cet argument-là, il concerne aussi l’hémicycle à Bruxelles.
J’ajoute que depuis le début de la crise sanitaire, en réalité les parlementaires se réunissent physiquement assez peu au même endroit, puisque des moyens techniques ont été mis en œuvre, pour débattre et aussi voter à distance. Donc le fait de ne pas réunir le Parlement à Strasbourg, n’est pas uniquement le fruit de considérations sanitaires, mais aussi de considérations plus politiques.
Quelles sont les différentes raisons qui peuvent expliquer que la majorité des députés européens préfère rester à Bruxelles ? N’est-ce pas une volonté de réduire l’impact environnemental du Parlement européen ?
D’abord les parlementaires européens, il y en a une partie qui, pour exercer leur mandat, ont choisi d’habiter à Bruxelles peu importe leur pays d’origine, parce qu’à Bruxelles il y a aussi des activités parlementaires. Il faut comprendre que le Parlement officiel est domicilié à Strasbourg, mais dans les faits il y a deux hémicycles : l’un à Strasbourg et l’autre à Bruxelles, où se déroulent un certain nombre d’assemblées plénières. Je le précise parce que ce n’est pas toujours parfaitement clair pour les citoyens auditeurs.
Il y a donc un nombre précis de sessions qui ont lieu à Strasbourg, de mémoire c’est douze par an en principe. Mais toutes les autres sessions parlementaires se tiennent à Bruxelles, où il y a aussi la domiciliation de la Commission européenne et d’autres institutions. Donc pour différentes raisons pratiques, un certain nombre de parlementaires choisissent d’habiter à Bruxelles. Des habitudes se sont donc prises, assez centralisatrices d’ailleurs, de dire que c’est plus simple si tout est basé au même endroit à Bruxelles. Mais ce n’est pas l’avis de tous les parlementaires.
Et là, il y a une question politique fondamentale. Est-ce qu’on considère que la construction européenne est une construction uniquement technocratique, et donc qu’il faut aller uniquement dans l’aspect logistique et technique des choses, rendant donc plus simple les choses si elles sont toutes au même endroit. Ou alors est-ce qu’on considère, et c’est mon cas, que la construction européenne c’est une construction politique. Elle a sédimenté des usages liés à notre histoire et à la géographie. Ce n’est pas un hasard si on a mis le symbole du débat démocratique européen à Strasbourg. C’est parce que Strasbourg, c’est aussi la mémoire de conflictualité, notamment entre deux pays importants de l’Union européenne que sont l’Allemagne et la France. Le fait de remplacer, symboliquement, une ligne de front par une enceinte parlementaire dans laquelle on débat démocratiquement pour justement éviter les conflits, cela a une charge historique et symbolique importante.
Moi, je regrette qu’il y ait une tentation de réduire la construction européenne à un simple sujet technique, celui de l’empreinte écologique. D’ailleurs il y a des études contradictoires, qui disent que l’empreinte écologique du déroulement des opérations à Bruxelles, n’est pas forcément plus avantageuse qu’à Strasbourg. Mais au-delà de cet aspect environnemental, il y a quand même une question symbolique et politique qu’il ne faut pas négliger.
On a vu dans différents médias que votre parti n’a pas toujours été enclin à défendre le siège strasbourgeois du Parlement européen. Quelles sont les raisons qui vous ont fait changer d’avis ? Est-ce que l’élection à Strasbourg au printemps dernier d’une maire écologiste, Jeanne Barseghian, y a contribué aussi ?
Il y a les deux. D’abord la position des Verts français, c’est depuis toujours de défendre un seul siège pour le Parlement, sans dire si c’est Bruxelles ou Strasbourg. La grande majorité des députés Verts français au Parlement sont pour Strasbourg. Toutes les délégations françaises, quel que soit leur parti politique, sont confrontées à d’autres députés européens de d’autres pays, dont certains considèrent que ce serait plus pratique que tout se fasse à Bruxelles.
Et il y a un deuxième élément, qui est un argument de force pour nous, les Verts français, quand on discute avec nos autres collègues Verts européens, c’est de dire que Strasbourg a une maire écologiste et qu’il y a donc là aussi une charge symbolique. Le fait que la capitale parlementaire européenne soit désormais administrée par une maire écologiste, c’est aussi quelque chose qui dessine une perspective de mutations, de modifications et de transformations que l’on souhaite au niveau de l’Union européenne.
Est-ce que vous soutenez l’idée qu’un parlement européen double, l’un à Bruxelles, l’autre à Strasbourg, empêche l’institution d’être véritablement efficace au quotidien et de surcroît augmente l’euroscepticisme en Europe ?
Non je ne crois pas que le fait qu’il y ait deux sièges pose problème. Je crois même que si tout devait être concentré à Bruxelles, ce serait extrêmement grave pour l’avenir de l’Union européenne, pour deux raisons. Premièrement, ce serait alimenter l’idée que l’Union européenne copie cet espèce de centralisme technocratique qu’on voit déjà, qu’implique d’ailleurs une certaine forme de mondialisation, où on concentre aux mêmes endroits tous les pouvoirs : les pouvoirs politiques, financiers, culturels. Or il y a beaucoup de gens qui sont attachés, et pas seulement les écologistes, au fait que les lieux de pouvoir soient partagés. L’histoire de la construction européenne, « Unis dans la diversité », ce n’est pas seulement la question de vouloir protéger notre petit pré carré à Strasbourg. C’est une question de lutte contre l’idée que l’avenir de la construction européenne, c’est centraliser les pouvoirs au même endroit et refuser une forme de diversité et de partage des responsabilités. Ce sur quoi s’est construite l’Union européenne.
Le deuxième argument est que si un jour, même si c’est assez peu crédible, le Parlement de Strasbourg serait, soit supprimé, soit amoindri, cela testerait, à tort ou à raison, la volonté des françaises et des français de rester dans l’Union. Aujourd’hui pour des bonnes et des mauvaises raisons, les citoyens français sont parmi les plus eurosceptiques. Et si le lien se distendait par rapport au Parlement à Strasbourg, je pense qu’il y aurait des conséquences extrêmement graves. C’est ce que j’explique à mes collègues d’autres pays européens.
Les fruits de l’histoire sont ce qu’ils sont. Et essayer de passer en force pour des raisons technocratiques, impliquerait des conséquences politiques qui ne seraient pas neutres.
Retrouvez cette interview dans l’émission « Place de l’Europe » diffusée le 8 février sur les ondes de RCF-Alsace, ainsi que sur Euradio. Chaque mois, le pôle médias des Jeunes Européens – Strasbourg intervient dans cette émission pour parler d’un grand enjeu de l’intégration européenne.
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